Alexis de Tocqueville et son compagnon Gustave de Beaumont ont débarqué à Newport, en mai 1831, pour parcourir la seule grande république de leur temps. Un siècle et demi plus tard, Bernard-Henri Lévy a mis ses pas dans leurs pas pour un voyage de 20 000 kilomètres à travers les États-Unis. Le but du périple de Tocqueville, rapporte son biographe André Jardin, était « l’observation directe d’une société de type nouveau et des forces qui la liaient ou la faisaient mouvoir ».

Le propos de Lévy est plus modeste, même s’il est parti avec une valise pleine de grandes questions éternelles. Il se débarrasse d’ailleurs de Tocqueville d’une façon aussi désinvolte que sincère dès ses premières pages, les plus brillantes de son American Vertigo. Disons que Lévy est allé voir ce qui se passait de l’autre côté de l’Atlantique. Il a tenté d’exprimer ce qu’il avait compris de ce pays et de son temps.

D’une certaine façon, il a rempli son contrat. Sa principale qualité réside dans son énergie, dans sa capacité d’entreprendre et de mobiliser des influences, ce qui n’est pas rien. Lévy a « fait le job » : il a mangé de la route et multiplié les rencontres. Son reportage est composé de courts fragments qui sont autant de récits d’étapes. L’auteur les consacre à un lieu (la prison de New York, Rikers Island ; la ville de Savannah), à un personnage (l’acteur Warren Beatty ou le néoconservateur Richard Perle ; les longues figures de trois tycoons), à un événement (une conférence agitée de Kissinger). Il ne néglige pas non plus de donner en passant son point de vue ou de distribuer ses remontrances (sur la morale journalistique ou la couverture sociale) ; c’est sa façon bien à lui de nous rappeler qu’il est philosophe.

Il y a de bons moments (la visite chez les mormons ou le portrait de Woody Allen) dans ce journal de voyage où, curieusement, on ne sent jamais le bonheur de voyager. Ce qu’il nous dit de Guantanamo n’est pas sans intérêt. Les rencontres avec Norman Mailer, exilé dans son propre pays, ou avec le milliardaire Barry Diller (crâne puissant, blessure enfouie) sont bienvenues. On regrette d’autant plus les moments de « banalités satisfaites » (du même tonneau que celles qu’il reproche à Kissinger), les successions d’énumérations emballées dans un style décidé mais pauvrement désarticulé (Seattle mon amour). C’est la route qui fait le livre, lance Lévy à l’orée de son vertige américain. C’est vrai. Il oublie que la lecture est un voyage à rebours et que, dans ce voyage, ce sont les mots qui font le chemin.


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