Pendant le Festival de Cannes, la projection des films est suivie d’une conférence de presse. Sauf dans le cas du Serment de Tobrouk (Sélection officielle, séance spéciale), que Bernard Henri-Lévy a présenté avant que l’on ait pu voir le film qu’il a coréalisé avec Marc Roussel. Thierry Frémaux, délégué général du Festival, a expliqué ainsi cette exception : « Nous voulions que la conférence porte sur ce dont parle le film et non sur le film lui-même. »

Devant un parterre clairsemé, l’écrivain et réalisateur est arrivé entouré d’une délégation libyenne, des hommes qui sont à la fois les personnages de ce film, tourné du printemps à l’automne 2011, et les compagnons de l’aventure libyenne de BHL. Se côtoyaient des dirigeants venus de Benghazi, comme Moustapha El-Zagizli, présenté comme « le prince des chabab », aujourd’hui chargé du désarmement des milices et des figures de la défense de Misrata, parmi lesquelles le général Ramadan Zarmouh.

Bernard Henri-Lévy avait tenu à ce que ce groupe soit complété par des représentants de l’insurrection syrienne. Deux écrivains exilés, deux représentants kurdes étaient accompagnés de deux hommes dont le visage était caché par le drapeau de leur pays et des lunettes noires. Le réalisateur les a présentés comme « des combattants sortis clandestinement de Syrie, il y a quelques heures, pour découvrir Le Serment de Tobrouk ».

Monologue

La dissymétrie entre les deux délégations, la libyenne et la syrienne, montre que le philosophe n’a pas rencontré auprès des opposants au dirigeant syrien, Bachar Al-Assad, l’accueil que lui avaient réservés les Libyens au printemps 2011. La présence des Syriens avait avant tout pour but d’affirmer que « ce qui a été fait à Benghazi n’est pas plus facile que ce qui doit être fait à Homs », que la communauté internationale doit intervenir contre le régime de Damas.

Les questions des journalistes ont souvent été éludées. Un Israélien qui demandait aux Libyens si leur pays allait rétablir des relations diplomatiques avec le sien n’a pas reçu de réponse et un envoyé spécial tunisien qui s’inquiétait de l’influence islamiste a pu entendre un discours sur « l’unité de la révolution ».

Quelques heures plus tard, dans la salle du Soixantième, érigée à l’arrière du Palais des Festivals, on a pu découvrir ce film étonnant dans lequel le metteur en scène se filme en metteur en scène de l’histoire. Amenant une délégation de Misrata à l’Élysée, Bernard Henri-Lévy explique en voix off que « les officiers libyens ont parfaitement tenu leur rôle ».

Avec candeur, le réalisateur explique que la Libye a été pour lui la répétition, réussie cette fois, de tentatives infructueuses pour amener la France à intervenir dans un conflit ; la Bosnie au temps de François Mitterrand, l’Afghanistan sous le mandat de Jacques Chirac. Cette fois, BHL donne l’impression de n’avoir rien laissé au hasard. Toujours en voix off (Le Serment de Tobrouk est aussi un monologue quasi ininterrompu), il explique qu’il cherche dans les rues de Benghazi le successeur du Bosniaque Alija Izetbegovic ou de l’Afghan Massoud. Il le trouve en la personne du président Abdel Jalil.

Viennent ensuite des séquences au long desquelles une silhouette toujours immédiatement identifiable (complet noir, chemise blanche, instrument de communication – portable ou téléphone satellite – vissé à l’oreille) traverse des paysages et des situations d’une infinie variété : déserts côtiers, montagnes du sud de Tripoli, salons de l’Élysée, cours sordides d’Istanbul où se négocient des lunettes à vision nocturne. Et même le café de Flore, où il emmène dîner l’une des délégations libyennes auxquelles il a fait faire le voyage de Paris.

Il faut être un fin connaisseur de la Libye pour évaluer la fidélité aux faits de ce récit. Tous les témoins – Nicolas Sarkozy, Hillary Clinton, David Cameron, les dirigeants libyens – sont appelés à la barre pour étayer les assertions de la voix off omniprésente. Mais les historiens trouveront dans ce plaidoyer pro domo un matériau passionnant.


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