Le penseur est-il celui ou celle qui « se tient sur la ligne de front » ? C’était la conviction du dissident tchèque Jan Patocka. Bernard-Henri Lévy s’inscrit dans cette filiation. Témoigner de la douleur des hommes, alerter sur ces conflits qui passent sous le radar du médiatique : voici à quoi il s’astreint, depuis bien quatre décennies. Une autre idée du monde, son nouveau film, est important. Car il expose en 1h50 sa géopolitique.

Le pire est venu – et continue à venir – de la pente « systémique » au retrait occidental. Preuve par l’Afghanistan – ce pays, aimé de Kessel, pour lequel le philosophe a œuvré, il y a dix-neuf ans, pour le compte du gouvernement français et où il revient, en compagnie du fils de son ami, le commandant Massoud. Un pays, hélas, dont Joe Biden a décidé de rendre les clés aux autorités afghanes, validant l’option « isolationniste » de son prédécesseur. Qu’adviendra-t-il, lorsque les GI’s auront déserté, de ces millions de femmes afghanes que les talibans vont aussitôt vouloir « encager » ? Même spectacle poignant au Kurdistan où, cinq ans après un de ses films, il lui faut bien constater la poignante solitude des peshmergas, abandonnés face à la reconstitution du califat de Daech. Inconscience ? Court-termisme ? Pourquoi cette cécité du monde ?

Dans maints théâtres d’opérations, une course poursuite s’est engagée entre de grandes puissances démocratiques, évidemment critiquables, et des tyrannies cyniques qui n’ont que faire des droits de l’homme. La Turquie d’Erdogan ou la Chine mettent en coupe réglée des régions entières du continent africain, comme le vérifie BHL dans ce mini-califat qu’est devenue la ville fantomatique de Mogadiscio. Derrière les massacres de chrétiens au Nigéria, il y a l’ombre omineuse de Boko Haram, l’un des ennemis les plus implacables du nation-building français (et israélien) dans la zone sahélo-saharienne. Politique du droit ou barbarie : il faut choisir.

Libre à quiconque de juger « naïf » l’auteur de ce film. Mais quand on le retrouve à dribbler avec les enfants du camp de Lesbos, aux portes de l’Union européenne bouclée comme une citadelle, on comprend que le « drive » de BHL, c’est une idée non négociable de l’humain. Il pense, de toute son âme, que les républiques démocratiques ont une responsabilité particulière envers le monde. Qu’elles doivent même, tant qu’à faire, le réparer. Cette idée, parce qu’elle est devenue minoritaire, est-elle pour autant fausse ?


Autres contenus sur ces thèmes