Cannes 2012. Un peu avant la montée des marches, libyens, syriens et autres résistants acharnés de la démocratie se retrouvent dans les arrières-salons de l’hôtel Majestic. Les regards sont lourds. La conversation est franche, l’ambiance est à la camaraderie mais le contexte de la venue des participants est compliqué. Certains furent en effet exfiltrés l’avant-veille de Syrie pour venir témoigner devant les caméras du monde entier le martyre de leur pays. Les autres sont les nouveaux visages d’une Libye qui doit se reconstruire après plusieurs décennies d’une dictature féroce.
En attendant le cortège des voitures affrété par le festival qui, sécurité oblige, servira à conduire ce petit monde libre au pied du tapis rouge, on fraternise. L’esprit de La Règle du Jeu s’est donc déplacé à Cannes. Pour toute la soirée, Bernard-Henri Lévy sera le chef de cette cohorte hétéroclite, une émouvante équipe de combattants, de notables et d’intellectuels qui ensemble ont décidé d’écrire en partie le monde de demain. Témoin direct de cet ultime épisode de l’aventure libyenne, j’observe la scène avec la certitude qu’une tranche d’Histoire s’écrit sous mes yeux.
Dehors il pleut à torrent. Les bimbos agglutinées aux rambardes devant le palais des festivals ont laissé place aux absolus amateurs du 7ème art. Ils s’interrogent : à qui la Palme ? Audiard, Cronenberg ou Salles ? On annonce George Lucas derrière l’équipe du Serment de Tobrouk. Les voitures arrivent. Deux jours seulement avant son issue, le 65ème festival de Cannes va enfin pouvoir vivre son moment politique.
Pourquoi donc aller à Cannes pour parler de la Libye et de la Syrie ? Est-ce bien l’endroit pour faire cela ? J’entends, ça et là, quelques observateurs trouver la démarche obscène. J’écoutais les voix les plus critiques jusqu’à ce que je foule à mon tour le tapis rouge et vive le tumulte. Là on mesure la portée d’un mouvement de pensée existentialiste, droit-de-l’hommiste et interventionniste qui se concrétise. Des centaines de photographes, de cameramen, journalistes et spectateurs appellent, interpellent, demandent dans un incroyable brouhaha de se retourner et de leur expliquer la raison de votre venue. Des milliers d’objectifs vous fixent, la montée des marches est retransmise en direct à la télévision et, alors que la cohorte progresse jusqu’à la salle de projection. De New York à Tunis, de Téhéran à Tel-Aviv, le monde entier vous regarde. Il serait bête de ne pas profiter de l’aubaine pour médiatiser le combat contre Bachar al-Assad et les islamistes.
Voilà pourquoi Bernard-Henri Lévy a décidé de passer le flambeau de la révolution démocratique des Libyens vers les Syriens à Cannes. Voilà pourquoi il était entouré, ce vendredi 25 mai 2012, de deux individus aux visages recouverts par le drapeau de la Syrie libre. Voilà de quelle façon on fait, en 2012, la guerre en philosophie. Il s’agissait bien d’utiliser le système médiatique pour défendre certaines valeurs en les exposant aux yeux du monde. Une habitude pour un Bernard-Henri Lévy, corsaire depuis ses jeunes années, piratant les circuits médiatiques en expert pour faire parler des causes qui lui tiennent à cœur. L’image des Syriens exfiltrés, drapeaux de la Syrie libre sur le visage, va faire le tour du monde. Cette image de la cohorte faisant le V churchillien de la victoire sur le tapis rouge est un doigt d’honneur à Bachar al-Assad et à tous ses amis dictateurs. Un véritable affront qui leur est adressé en même temps qu’un chaleureux salut aux rebelles syriens aujourd’hui encore sous le feu des bombardements. 90 personnes ont aujourd’hui encore été tués à Houla par l’armée de Bachar al-Assad…
Réseaux sociaux officiels