Ainsi, le mercredi 13 avril, la veille d’une réunion de l’Otan sur l’intervention en Libye, Nicolas Sarkozy dîne avec le Premier ministre britannique David Cameron à l’Élysée. Au Bourget, un avion en provenance d’Égypte vient d’atterrir. A son bord, dix Libyens ralliés à la rébellion. Ils doivent rencontrer Nicolas Sarkozy. Le président les reçoit à minuit. Parmi eux, le général Abdelfatah Younes et Suleiman Fortia, du Conseil national de transition (CNT) de Benghazi. La réunion, secrète, dure une heure.

Quelques heures plus tard, le général Younes rentre en Libye à bord d’un avion de l’armée française. C’est au cours de cette réunion que la décision de faire passer des armes aux rebelles a été prise. Dans le salon ce soir-là, étaient présents Jean-David Levitte, et Nicolas Galley, deux conseillers diplomatiques de l’Élysée, le général Puga et Bernard-Henri Lévy, l’initiateur du rendez-vous.

Incontournable BHL

Depuis le déclenchement du conflit en Libye – et après quatre ans de « disgrâce » – l’écrivain a revu Nicolas Sarkozy six fois. Toujours à l’Élysée. Pour défendre une cause : la reconnaissance du CNT.

Son « combat », puisque c’est ainsi qu’il qualifie ses séjours à l’étranger, débute avec son « voyage dans la Libye libérée » publié dans le JDD. Du grand classique : un récit crépusculaire à la première personne et bien illustré – on le voit souriant serrer la main d’un rebelle enroulé dans un drapeau révolutionnaire ou encore debout, le visage grave, près de ruines. Tout le long du texte, il apostrophe les grandes puissances, les conjurant de « faire quelque chose ». Bref, BHL en voyage.

Depuis Benghazi où il rencontre les rebelles du CNT, il téléphone à Nicolas Sarkozy pour lui recommander de recevoir à Paris les représentants de la résistance. Mieux, il suggère la reconnaissance officielle du CNT.

Diplomatie BHL, diplomatie parallèle ?

Quelques jours plus tard, c’est chose faite. Paris est la première capitale occidentale à reconnaître le gouvernement de Benghazi. Ce jeudi 10 mars, BHL est reçu à l’Élysée avec trois émissaires libyens du CNT. Jean-David Levitte est présent. Alain Juppé n’est pas prévenu. Cette diplomatie parallèle déconcerte un proche de Nicolas Sarkozy : « Tout cela a été décidé de manière hâtive. Alain Juppé était favorable à une intervention, de même qu’il était favorable à une prise de contact avec les insurgés, mais de là à ne reconnaître qu’un groupe… Il commence d’ailleurs à apparaître que le choix d’un seul interlocuteur en Libye était une erreur. »

Henri Guaino, qui ne s’entend guère avec l’écrivain, était également présent. Il refuse de commenter les prises de positions de la France mais tient à faire la part des choses : « Bernard-Henri Lévy n’est le représentant de personne. Il tient informé l’Élysée de ses initiatives personnelles. Pour le reste, il y a un président et une diplomatie. »

De Sarajevo à Damas en passant par Benghazi

« C’est très exagéré de parler de diplomatie parallèle », nuance Hubert Védrine. L’ancien ministre des Affaires étrangères le connaît bien. En 1992, il téléphone au philosophe pour l’avertir de l’excellente nouvelle : François Mitterrand ira à Sarajevo et c’est « grâce à lui ». C’est du moins le récit qu’en fait BHL dans Le lys et la cendre. Hubert Védrine a des souvenirs plus confus : « C’est dur à dire parce que Bernard Kouchner prétend que l’idée est venue de lui. Il y a toujours une querelle de paternité dans ce genre de cas. A l’époque, beaucoup d’intellectuels médiatiques s’étaient emparés du sujet. BHL avait un lien avec président bosnien Izetbegovic, et il voulait influencer la politique occidentale, il souhaitait que les pays européens soutiennent les musulmans bosniaques. C’est ainsi qu’il procède habituellement, il s’appuie sur son lien avec une personnalité… Le point commun avec la Libye, c’est que là aussi, il a décidé lui-même de s’engager pour faire infléchir la politique française ; mais il ne faut exagérer son rôle : l’engagement de BHL n’a pas créé l’orientation de la diplomatie française, mais son influence a été réelle sur la reconnaissance du CNT. Sa position est plutôt bonne, son intervention est à double tranchant mais on exagère son rôle. »

Après la Libye est naturellement venu l’autre combat : la Syrie. BHL a d’abord été contacté par des participants à la conférence d’Antalya, un rassemblement de l’opposition syrienne. Il organise le 4 juillet à Paris, devant le cinéma Saint-Germain-des-Prés, un rassemblement de soutien. Sont conviés Cécile Duflot, Rama Yade, Laurent Fabius, Axel Poniatowski, Bernard Kouchner, Fadela Amara…

Un engagement personnel qui agace

Mais aux abords du cinéma, c’est un cirque digne des grands événements béhachéliens qui sème le trouble : une mini-manif anti-BHL brise le bel unanimisme.

Plusieurs représentants de l’opposition syrienne, annoncés, ont préféré s’abstenir, pointant l’opportunisme dans l’engagement du philosophe « sioniste ». Des intellectuels syriens ont également exprimé leurs réserves dans la presse arabophone.

Un diplomate confie : « Son engagement pour la Syrie n’a rien à voir avec la Libye. Il n’a pas l’oreille du président sur ce dossier et il n’est pas non plus en service commandé. »

En privé, BHL aime raconter qu’il n’est le poisson-pilote de personne. Au contraire, il s’est toujours servi des politiques. Il a toujours agi en homme libre. Et il se demande si quelqu’un aurait parlé de la Syrie s’il ne l’avait pas fait.


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