MARIE SIMON : Pourquoi avoir adressé un message vidéo à la jeunesse iranienne ?

BERNARD-HENRI LÉVY : C’est le texte de mon bloc-notes. Lu, et donc posté sur Dailymotion, à l’attention de ceux qui n’ont, comme vous pouvez l’imaginer, pas accès à nos journaux. Je l’ai fait en français mais aussi en anglais, ce qui n’est pas une mauvaise chose si on veut être entendu à Téhéran.

L’idée étant d’envoyer un message de solidarité, d’amitié, à cette jeunesse iranienne qui défile contre Mahmoud Ahmadinejad et contre la confiscation de l’élection. A eux comme, d’ailleurs, à ceux qui, égarés, restent aveuglément fidèles au régime, je dis la même chose : ce n’est que le début…

MS : Le début d’une révolution ?

BHL : Si vous voulez, oui. Car on oublie que la première révolution iranienne, la nationale-socialiste, celle qui a porté Khomeiny au pouvoir, a duré une année. Là, cela peut très bien être pareil. Un régime discrédité, fissuré, agonisant, et qui fait face à une protestation populaire impossible à endiguer. Difficile de dire, bien sûr, sur quoi tout cela débouchera. Mais le processus, je vous le répète, est irréversible.

MS : Que pensez-vous de Mir Hossein Moussavi, érigé en leader de l’opposition « verte » ?

BHL : Je suis moins pessimiste qu’au début des manifestations. Moussavi est un apparatchik, naturellement. Un homme du sérail. Un homme qui a servi sous Khomeiny et Khamenei. Mais voilà, les circonstances le grandissent. Elles le hissent au-dessus de lui-même. Comme dans toutes les révolutions, au fond.

MS : Vous évoquez Twitter dans votre message. A-t-on surestimé son rôle dans la mobilisation iranienne ?

BHL : Non. Son rôle, comme celui d’Internet en général, a été évidemment capital. Les Iraniens communiquent sur Twitter comme les résistants anti-Haider se parlaient par SMS en 2000. Parole vive. Communication instantanée. Ce n’est pas seulement le medium qui a changé. Mais aussi, par ce canal, la nature même du message.

MS : La plupart des messages de 140 signes maximum sont pro-Moussavi… Twitter n’aurait-il pas tendance à déformer l’image que nous avons de la situation globale en Iran ?

BHL : Jusqu’à nouvel ordre, la seule « déformation », c’est le comptage frauduleux des votes par le régime, le truquage et le vol des élections.

MS : La réponse à votre message, sur Twitter ou ailleurs sur Internet, est assez ironique : on vous présente en « sauveur de l’Iran ». Que répondez-vous ?

BHL : Ce message était moins adressé aux commentateurs parisiens qu’aux twitteurs iraniens. Et je sais que, pour ceux-là, dans l’état de solitude, de désespoir, où ils se trouvent, tous les soutiens sont les bienvenus.

MS : Vous avez posté une autre vidéo sur Dailymotion. Celle-ci montre « Mahmoud Ahmadinejad, à Qom, en compagnie de son mentor, l’Ayatollah Mesbah Yazdi, ainsi que d’un cénacle d’élèves et de fidèles » le 13 juin dernier, d’après la description que vous avez associée à ce document filmé à l’insu de ces derniers, semble-t-il. Quel a été votre sentiment lorsque vous l’avez visionné ?

BHL : Le ton, le propos, d’Ahmadinejad m’ont glacé. Il y a quelque chose de terrible dans sa voix, dans son regard ainsi que dans le jeu étrange de déférence réciproque entre les religieux qui l’entourent et lui. Le contenu aussi est effrayant.  Ne serait-ce que parce qu’il confirme qu’on a affaire, là, à un illuminé, un fanatique.

MS : Comment avez-vous obtenu ce document ?

BHL : Par Fariba Hachtroudi, l’écrivaine iranienne qui a notamment publié un beau Le douzième imam est une femme. C’est elle qui, à son retour de Téhéran où elle vient de faire un nouveau et long séjour, l’a reçu, puis traduit et sous-titré. Elle désespérait de voir la presse s’y intéresser. Une version non sous-titrée avait été postée sur YouTube, mais sans réactions.

Elle me l’a donc confiée, hier, mercredi. Je l’ai moi-même, et aussitôt, envoyé aux amis américains qui tiennent ma page Facebook. Et ils l’ont mis en ligne. Voilà. Mon rôle a été bien modeste. Mais je suis heureux, très heureux, d’avoir pu faire cela.

MS : Vous évoquiez le début d’une révolution… Lui évoque le début de « grands bouleversements », en Iran ou au-delà.

BHL : Le rapprochement s’arrête là. Car ce que cet illuminé annonce c’est le début de la fin du monde. Ce que décrivent les démocrates iraniens est exactement le contraire : le début fragile, incertain, à tâtons, de la démocratie. Cet homme est dangereux pour son peuple. Mais il l’est aussi pour le monde.

MS : Vous appelez la communauté internationale à soutenir cette aspiration démocratique. N’y a-t-il pas un risque que ce soutien soit contre-productif ?

BHL : On se posait la même question pour l’Union soviétique… Mais c’est une fausse question. Partout, toujours, il faut encourager les démocrates.


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