Nous réalisons cette interview (lundi matin, ndlr) à peine deux heures après un nouveau retour d’Ukraine.

Oui. Cette fois, je suis allé dans la partie est du pays. La partie dite « russophone ».

Dans quel état est le pays ?

Il y a des groupes de nervis prorusses, c’est vrai, qui cognent, bastonnent et essaient de semer la terreur. Mais, contrairement à ce que disent les médias, c’est une minorité. L’immense majorité, même dans ces régions, veut rester ukrainienne. Et, surtout, elle veut voter, elle veut casser les casseurs d’urnes et les empêcheurs de vote. Car l’élection présidentielle a lieu dimanche…

Faut-il la maintenir ?

Bien sûr ! Et vous verrez, d’ailleurs, qu’elle se passera bien mieux qu’on ne le dit. Encore une fois, j’étais sur place. J’ai pris la parole, près de Dnieprpetrosk, dans un meeting de Petro Porochenko, le favori et le plus pro-européen des candidats. Je ne vous dis pas que c’était la même fièvre que sur le Maïdan, à Kiev. Mais la foule était attentive. Très attentive. Et il n’y a pas eu, pendant ma prise de parole, le moindre incident.

Qui peut incarner le changement ?

Petro Porochenko. Il est expérimenté et charismatique. Il est doté d’une grande probité. Et il est capable, surtout, de faire face à Poutine. Car c’est l’enjeu essentiel. Élu le 25 mai, il deviendra la première ligne de défense de l’Europe face à Poutine.

De quoi est coupable l’Europe ?

De n’avoir rien compris. L’Europe n’a pas saisi quel est le vrai but de guerre de Poutine. Ce n’est pas la Crimée. Ce n’est même pas l’Ukraine. C’est prendre sa revanche sur l’Europe. Tel est le vrai projet politique de Poutine  : casser l’Union européenne pour venger cette disparition de l’URSS qu’il tient, vous le savez, pour « la plus grande catastrophe géopolitique du XXe siècle ».

Ça semble difficile, il est très seul…

Pas sûr. Il a des partisans. En France, le Front national, qui le soutient avec une constance jamais démentie. Ailleurs, c’est le Jobbik hongrois, l’Ataka bulgare, tous les partis ultranationalistes ou néofascistes européens qui sont derrière lui.

Vous dites qu’il est plus faible qu’on ne le croit.

Oui. Son économie va mal. Son armée est en loques. Les experts ne disent-ils pas qu’à peine 15 % de ses forces armées sont opérationnelles ? Mais, sur le plan politique, dans nos pays, il a cette nébuleuse de partis d’extrême-droite à son service.

L’Europe doit-elle pénaliser économiquement la Russie ?

Bien sûr. Car c’est notre seule arme  : refuser le chantage au gaz ; diversifier, tous ensemble, nos sources d’approvisionnement ; et, surtout, taper les oligarques au portefeuille.

La France a-t-elle tenu son rang tout au long de cette crise ?

Elle a essayé. J’étais présent, dans le bureau de François Hollande, quand il a reçu Petro Porochenko ainsi que le boxeur, candidat à la mairie de Kiev, Vitaly Klitschko. Il a trouvé, ce jour-là, des mots forts pour dire qu’il ne reconnaîtrait pas le coup de force russe en Crimée.

La semaine dernière, il a pourtant invité Poutine aux cérémonies du 70e anniversaire du Débarquement…

Exact. Et ça, en revanche, c’est navrant. Bien sûr que l’Armée rouge a payé un prix immense pour la défaite du nazisme. Mais, d’abord, l’Armée rouge c’était aussi des Ukrainiens. Et Poutine n’est pas l’héritier de cette page glorieuse de l’histoire du siècle écoulé  : son idéologie est l’exact contraire de ce que l’on va célébrer le 6 juin ; il est plus proche, bien plus proche, du fascisme défait en 1945 que des principes de résistance et de démocratie. Je suis partisan, donc, d’annuler cette invitation. Ou alors d’inviter aussi le président ukrainien nouvellement élu. Ça, ça aurait de la gueule.

Passons aux élections européennes. Le FN pourrait finir en tête. Quelles conséquences devra en tirer François Hollande ?

C’est la classe politique entière qui, si cela arrive, devra faire son examen de conscience. Pire  : un FN en tête, ce serait une mise en cause, et une honte, pour chacun d’entre nous.

Que devra dire le chef de l’État ?

Nous serions la risée de l’Europe. Une majorité d’électeurs choisissant un parti aussi bête, aussi nul, bourré d’anciens voyous, ferait de nous la lanterne rouge du continent. Je ne sais pas ce qu’un chef d’État peut dire face à ça.

Les électeurs semblent sourds aux appels à la raison  : onze villes ont basculé côté FN aux municipales…

C’est vrai. Il y a clairement une faillite du système face à ce vote d’adhésion.

D’adhésion, dites-vous ?

Absolument. Je crois qu’il faut arrêter avec le prêchi-prêcha sur les Français en colère qui votent FN en signe de protestation.

Mais Marine Le Pen, qu’a-t-elle de plus pour que tant de Français l’estiment capable de changer la France ?

De plus ? Rien ! Mais il arrive que les peuples désirent le moins, voire le pire, l’abaissement. Là, c’est le cas.

Vous ne pensez pas qu’elle changerait la France ?

Si. Mais, je le répète, pour le pire. J’ai regardé son programme avec attention. C’est un programme qui plongerait le pays dans une crise sans précédent, qui générerait encore plus de chômage, de précarité, de pauvreté. Sans parler du climat de haine qui s’installerait.

Droite et gauche ont-elles tout fait pour freiner son ascension  ?

Sûrement pas, non. Mais ce qui est fait est fait. L’urgence, aujourd’hui, à la veille de ces européennes qui sont des élections historiques, c’est d’être dignes de la France et de lui faire honneur. Avez-vous remarqué comme Marine Le Pen parle mal de son pays ? Avez-vous noté l’étrange jouissance avec laquelle elle insiste toujours sur son supposé déclin  ? Et cette façon, chaque fois que nos soldats sont, ou pourraient être, sur un théâtre d’opérations extérieur, de prendre parti pour l’ennemi : Libye, Mali, Syrie ! C’est curieux, cette obstination dans la trahison…

Que doit faire la gauche ?

Ne pas spéculer sur la montée du Front national. Ne pas céder au calcul minable sur les profits politiciens qu’elle pourrait en tirer. Elle l’a trop fait, depuis Mitterrand…

Et la droite ?

Elle doit maintenir la barrière étanche entre elle et le FN. Quand la droite tient, le fascisme recule. Quand la droite cède, il triomphe.

Nicolas Sarkozy doit-il revenir et est-il le leader incontesté pour battre Marine Le Pen ?

Ce qui est sûr c’est qu’en 2007 il avait réussi à faire baisser le FN. Je ne vois pas qui, à droite, peut faire mieux que lui sur ce terrain.

Au regard de la situation économique, la France a-t-elle intérêt à repasser à droite ?

Vous ne voulez pas qu’on arrête, un instant, de raisonner en termes de droite et gauche ? Quand un pays est dans une situation aussi dramatique, la question est celle des hommes qui, quel que soit leur parti, sont à la hauteur de la situation.

François Hollande est-il à la hauteur deux ans après ?

Il n’a pas dit son dernier mot.

Ce n’était pas votre candidat à la primaire, mais êtes-vous déçu ?

La vérité, c’est qu’il fallait commencer par le tournant libéral et le Pacte de responsabilité. Il ne fallait pas perdre deux ans à discuter avec les écolos, à veiller au grain du côté de Mélenchon et à faire attention à ne pas froisser l’aile gauche du Parti socialiste. La seule manière de faire, c’est celle tentée aujourd’hui avec Manuel Valls  : passer en force, jouer l’opinion, ne plus faire de cadeaux à cette extrême-gauche archaïque qui, comme l’extrême-droite, ne veut pas de bien aux Français.

Est-ce un quinquennat pour rien ? Dans quel domaine a-t-il réussi ? L’international. Là, la France a tenu son rang. Au Mali. En Centrafrique. Face à la crise syrienne où Hollande était prêt à agir mais en a été empêché par Obama.

Déçu, alors, par Obama ?

Oui. Quand je l’ai connu, en 2004, je pensais qu’il serait Kennedy. Hélas, c’était Jimmy Carter.

Plusieurs enquêtes ont confirmé une poussée du racisme et de l’antisémitisme dans notre pays. Partagez-vous ce sentiment ?

Oui. Regardez l’affaire Dieudonné. Des milliers de Français étaient prêts, en connaissance de cause, en sachant à quoi s’en tenir, à payer des fortunes pour aller assister à des meetings antisémites.

Les politiques ont-ils réagi de manière pertinente ?

Oui. Il fallait frapper fort. Et ils l’ont fait. Face à pareille saloperie, face à un type qui terminait ses spectacles en criant « libérez Fofana » – vous savez, Fofana, le chef du gang des barbares, l’homme qui a torturé à mort le jeune Ilan Halimi… –, il n’y avait plus de débat, de pédagogie qui tienne. Force était à la loi. Juste la loi. Et, de Valls à Juppé ou Estrosi, tout le monde l’a compris. C’est bien.

Un point sur le film concernant DSK. Êtes-vous choqué que l’on porte son histoire à l’écran ?

Je trouve ce film ignoble. La colère d’Anne Sinclair est totalement justifiée.


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