Froid dans le dos. Si le livre de Bernard-Henri Lévy était un polar, on pourrait le refermer en se disant que l’histoire est palpitante, terrifiante, mais heureusement fictive.
Là, il n’en est rien. Qui a tué Daniel Pearl (Grasset) raconte une horrible réalité. Celle de l’assassinat, l’an passé, d’un journaliste américain au Pakistan, et les raisons de ce meurtre. Tour à tour romancier, lorsqu’il navigue de piste en piste sur les traces de Daniel Pearl ; romancier lorsqu’il nous fait partager les moiteurs de Karachi ou les vies multiples de ses personnages ; philosophe, lorsqu’il sonde les noirceurs irrémédiables des âmes, BHL nous plonge dans un cauchemar d’autant plus affreux qu’il est une évidence que beaucoup refusent de voir. Ce dimanche, Bernard-Henri Lévy sera à Toulouse. Il nous parle de son livre.
DOMINIQUE DELPIROUX : Qui était Daniel Pearl ?
BERNARD-HENRI LÉVY : Un juste. Un Américain ouvert, tolérant, aussi peu arrogant que possible. Un Américain qui avait fait sien le principe européen de penser contre soi-même. C’était, aussi, un très grand journaliste. Souvent, quand je travaillais à ce livre, je me disais : « il y a, au fond, deux Amériques ; celle de Bush et celle de Pearl.
Le facteur déclenchant de votre enquête, c’est l’horreur de ce crime ou ce qu’il cachait.
Les deux, bien sûr. L’horreur, d’abord. Car c’est tout de même la première fois que des bourreaux filment ainsi en direct un meurtre et l’exhibent de la sorte.
Les nazis et les staliniens, eux-mêmes, cachaient leurs crimes ! Et puis le pressentiment, aussi, que ce crime cachait quelque chose, qu’il avait un sens, qu’il apportait à sa manière un éclairage sur une époque terrible : la nôtre.
Dans votre livre, un personnage vous adresse des propos d’un antisémitisme incroyable. On peut rester de marbre face à cela ?
Il faut rester de marbre. Car l’important, pour moi, n’était pas de réagir, mais de témoigner. J’espérais que la colère immédiate cède le pas, un jour, à la colère littéraire. Et puis il y a le désir de savoir jusqu’où les choses peuvent aller…
En explorant Binori Town, une mosquée qui semble au cœur d’Al-Qaïda, n’avez-vous pas eu peur ?
On n’est pas rassuré. On sait qu’on est en territoire ennemi et que, si on découvrait ce que je venais vraiment faire là, je passerais un sale quart d’heure.
Bon. J’étais dans la maison du Diable. Mais je comptais sur mon étoile.
Au terme de l’enquête, vous désignez clairement le Pakistan comme État-voyou…
On a longtemps sous-estimé la menace. On a les yeux trop fixés sur le Proche-Orient, en oubliant l’Islam asiatique. Le but de mon livre est de donner un coup de projecteur sur cette partie du monde trop oubliée par les géopoliticiens.
Les gens font toujours comme si le destin du monde se jouait au Proche-Orient et en Israël. Non ! C’est une illusion. Il se joue bien davantage ici – du côté des meurtriers de Daniel Pearl et du Pakistan.
Enfin, reste-t-il de l’espoir ?
Quand les démocraties veulent, elles peuvent. Pourquoi ne pas durcir le ton avec les islamistes ? Pourquoi ne pas essayer de se demander ce qui se passe vraiment dans le trou noir de Karachi ?
Demander au Pakistan un contrôle strict de son arsenal nucléaire, ce serait infiniment moins difficile de faire la guerre en Irak.
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