On connaît l’affaire. Daniel Pearl, grand reporter au Wall Street Journal, travaille au Pakistan. Il est enlevé le 23 janvier 2002. Égorgé, décapité dans la nuit du 30 au 31 et son corps dépecé. Une mort rendue publique le 23 février seulement. Date à laquelle commence à circuler la cassette vidéo de son martyre. Voilà pour les faits. Il s’agissait ensuite de savoir qui a décidé de s’en prendre à ce jeune homme et pourquoi : est-ce parce qu’il était journaliste ? juif ? américain ? Est-ce parce qu’il en savait trop sur des sujets sensibles ? Est-ce pour toutes ces raisons ou pour l’exemple ?

Bernard-Henri Lévy a travaillé pendant un an. Il est allé partout où Daniel Pearl est allé, il a rencontré tous les témoins possibles au Pakistan, en Inde, en Angleterre et en Amérique, il a forcé quelques portes supplémentaires. Une longue enquête qu’il mène sous nos yeux, en faisant part de ses découvertes et de ses doutes, de ses conclusions, qu’il n’hésite pas à rectifier quand cela s’impose. Se montre d’autant plus précis, qu’il traite un dossier très sensible. Où chaque mot compte.

Rapidement, il s’intéresse à celui qui, arrêté après la mort de Pearl, s’est accusé d’être le « cerveau » de toute l’affaire. L’homme s’appelle Omar Sheikh, il est jeune, né en Angleterre dans une famille bourgeoise, aisée, d’origine pakistanaise. Brillant élève. Pas plus religieux qu’un autre jusqu’à la guerre en Bosnie : en 1992, il voit Destruction of a nation, un film produit par Islamic Relief, et tout bascule pour lui. À la surprise de sa famille, il décide de partir pour les Balkans avec une ONG.

Ensuite il est plus difficile de démêler la légende de la réalité. Il va en Afghanistan, puis en Inde où il est condamné à six ans de prison pour avoir enlevé huit Occidentaux. En 2000, il vit au Pakistan : marié, apparemment fortuné, Omar Sheikh passe pour « l’un des djihadistes les plus en vue », mieux encore, il est le « fils favori » de Ben Laden et sait habilement jouer des rouages de l’économie ou convaincre les ulémas que l’on peut, pour la cause, combiner loi islamique et profits. Ne serait-il pas aussi membre de l’ISI, les services secrets du Pakistan qui sont en rivalité avec le Premier ministre Musharraf ? Et Pearl la victime de cette rivalité ?

On progresse ainsi de suppositions en quasi certitudes. On découvre des lieux inconnus parce qu’impénétrables (le « séminaire » de Bironi) et la labyrinthique Al-Qaïda, qui « n’est plus, depuis longtemps, cette vertueuse PME familiale se suffisant à elle-même et à sa cause. C’est une mafia. Un trust. Un gigantesque réseau d’extorsion de fond étendu à la planète » qui prospère grâce à de jeunes financiers tels qu’Omar Sheikh, « passés maîtres dans l’art […] de retourner contre l’Occident marchand ses armes et, parfois, ses vices ».

Qui a tué Daniel Pearl ? est un « romanquête » écrit par deux BHL très complémentaires. Le jeune homme prend tous les risques pour savoir. Plus cornélien que romantique il veut s’étonner, étonner. Agace parfois. L’homme mûr qui l’accompagne n’a d’autre but que d’informer. Il écrit avec conviction. Mais aucun ne perd de vue « cette autre face de l’Islam », un « Islam de lumière », « pétri de vie et de piété, amical envers le prochain » auquel « a voulu croire Daniel Pearl et (auquel) je crois aussi. Qui l’emportera, des fils de Massoud ou des assassins de Pearl ? ».

On sort de cette lecture un peu secoué, effrayé par tant de faits révélés sur l’état du monde, dérouté « parce que l’histoire de Pearl me fait peur et qu’elle m’empêche d’avoir peur ».


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