Bernard-Henri Lévy est un homme pour qui les mots comptent. Il ne cesse de ponctuer l’entretien de « on » et de « off », relit et amende ses propos, rappelle pour préciser des informations.
Trois projets de biographie vous concernant sont en cours et vous accablent. Pourquoi ?
Il n’est pas agréable de savoir qu’il y a trois types en train de fouiller dans votre vie privée, votre passé, celui de vos proches. Surtout quand on connaît les méthodes pour le moins légères de l’un au moins des trois, Philippe Cohen, qui s’est illustré avec son livre La Face cachée du « Monde »…
L’époque est pourtant au déballage de la vie privée, comme le montrent le livre de Benjamin Castaldi sur le secret de sa mère, et celui de Franz-Olivier Giesbert sur son père…
Vous ne pouvez pas comparer un livre de témoignage (Castaldi) et un livre d’authentique littérature (Giesbert). Moi, je suis un philosophe. Un militant. C’est ça qui est intéressant : les grandes causes auxquelles je m’attache. Pas mon « tas de secrets ».
Dans son roman Rien de grave, votre fille Justine a ouvert la porte de votre vie familiale… Les noms ont été changés, mais on reconnaît, au travers des personnages, Raphaël Enthoven – ex-mari de Justine et fils de votre ami Jean-Paul Enthoven – et son épouse Carla Bruni…
Vous vous trompez. Son livre est un livre d’écrivain. Comme tous les écrivains du monde, elle s’est servie des matériaux de sa vie pour fabriquer une fiction.
En trente ans, vous avez touché à tout : philosophie, roman, essai, cinéma, journalisme. Dans une époque qui se complexifie, n’est-ce pas trop ?
Peut-être. Mais c’est ainsi que je vis. La vie est longue, vous savez. Il y a de la place pour plusieurs vies.
Dans quel genre êtes-vous le plus à l’aise ?
Celui dans lequel je suis au moment où l’on me pose la question. Il y a cinq ans, j’aurais dit le cinéma. Il y a deux ans, le journalisme. Aujourd’hui, je dirais la philosophie.
On vous reproche de citer les noms de grands écrivains (Sartre, Gary, Malraux…) pour que leur aura rejaillisse sur vous.
C’est ce que l’on appelle le respect, ou la piété, ou l’exercice d’admiration : prier pour que les grands vous prêtent un peu de leur lumière.
Votre dernier ouvrage, Qui a tué Daniel Pearl ?, a connu un grand retentissement aux États-Unis, où vous donnez aussi des conférences. C’est votre dernier territoire de conquête ?
Pourquoi « conquête » ? C’était le pays de Daniel Pearl. Celui où vivent, aujourd’hui, ses collègues, ses parents. Celui, donc, où le succès du livre comptait symboliquement le plus.
À propos de Qui a tué Daniel Pearl ?, dans The New York Review of Books, le journaliste William Dalrymple soutient que vous avez tendance à triturer les faits et que de nombreuses erreurs factuelles jalonnent votre ouvrage.
Quand on écrit dans l’urgence, sur une affaire aussi terrible, et dans un pays aussi effroyablement difficile, il est fatal que se glissent quelques erreurs factuelles. J’ai répondu à ce monsieur (The New York Review et Le Monde diplomatique de février dernier) et je montrais, dans ma réponse, qu’il y avait, dans son article, plus d’erreurs que dans mon livre.
Le journaliste américain Robert Sam Anson a publié un article qui reconstituait, avant vous, les derniers jours de Pearl, la vie de son assassin présumé, Omar Sheikh. L’article n’est pas mentionné dans l’index, qui n’existe pas d’ailleurs.
Comment voulez-vous qu’un ouvrage soit mentionné dans un index qui n’existe pas ? Je le mentionne dans le corps du livre. En le qualifiant d’« article pionnier ».
Le livre Françalgérie affirme qu’avec vos deux reportages en Algérie, publiés dans Le Monde en 1998, vous avez servi la cause des généraux algériens. Vous les avez blanchis de leur responsabilité dans les massacres de populations.
Je ne l’ai pas lu. Les articles en question sont là, tels quels, dans Récidives. Chacun peut juger sur pièces.
Par le biais de votre société, Les Films du lendemain, vous avez proposé à Marina Ladous, en 1999, de coproduire son documentaire sur l’Algérie. Après le visionnage des rushes, qui contredisaient votre point de vue en racontant les méthodes de torture dans les commissariats, vous avez suspendu son contrat.
Je ne sais même pas de qui vous me parlez. Le seul film sur l’Algérie que j’aie jamais envisage de produire, c’était le mien, La Nuit algérienne, dont le scénario est dans Récidives.
Pourquoi avez-vous pu entrer en Algérie, fin 1997, alors qu’aucun journaliste ne le pouvait ?
Peut-être parce que je ne me présentais pas comme journaliste, mais comme cinéaste en repérage pour ce film, dont l’autorisation m’a d’ailleurs été refusée par les généraux que j’aurais « blanchis ».
En 2002, vous avez écourté votre mission confiée par Jacques Chirac et Lionel Jospin. Au lieu de trois mois, vous êtes resté quinze jours en Afghanistan.
Pourquoi « trois mois » ? Ou avez-vous pris que j’aurais pu, ou dû, rester « trois mois » ? Je n’étais pas là pour le plaisir mais en mission. Elle a duré le temps nécessaire pour que je puisse faire mes propositions.
Votre nouvelle cause ?
La guerre oubliée du Sud-Soudan. Et, au Sud-Soudan, le Darfour. La presse commence à en parler. Pas assez.
Vous avez dit que vous pourriez tuer quelqu’un.
Je suis quelqu’un de policé dans mes relations avec le monde, mais de secrètement violent.
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