Philippe Petit : Votre film, Bosna !, est un documentaire militant sur la résistance bosniaque et ses enjeux Votre tournage débute en septembre 1993 et s’achève en janvier 1994. Pourquoi avez-vous tenu à mener un tel combat ?
Bernard-Henri Lévy : Parce que c’est le combat de l’Europe, tout simplement. Et celui de ma génération. C’est une des idées-forces du film, malgré les différences évidentes, malgré les contextes qui n’ont rien à voir, cette guerre de Bosnie aura, pour notre temps, l’importance qu’a eue la guerre d’Espagne pour l’époque de nos pères et de nos grands-pères.
Vous insistez sur l’incapacité des Occidentaux à comprendre ce qui se passe en Bosnie. Pourquoi avoir pris le parti de la chronologie pour vous faire entendre ?
Deux réponses. D’abord, j’en avais assez d’entendre les gens répéter qu’ils « ne comprenaient rien à cette affaire » : la chronologie était, de ce point de vue, la meilleure façon de rendre les choses claires. Ensuite, parce qu’elle a le mérite, cette chronologie, d’illustrer la succession des bévues, ou des malentendus, qui ponctuent, dans cette affaire, la démission de l’Occident. C’est le vrai sujet du film, comme vous savez. Un film sur la Bosnie, mais qui ne parle que de nous, les Européens, et de notre honteuse complicité. Alors on voit bien, quand on suit les choses chronologiquement, comment se sont succédé l’argument des tribus qui s’étripent, celui de l’alliance franco-serbe, celui du gendarme nécessaire, celui du jusqu’au-boutisme des dirigeants bosniaques qu’il faudrait contraindre à plier l’échine et à accepter la paix, l’argument, encore, de la population civile harassée, otage de son gouvernement et qui ne demanderait pas mieux, la pauvre ! que de s’entendre avec les fascistes… La chronologie montre bien tout ça. On voit bien l’acharnement de la raison occidentale à justifier le crime, à le laisser se perpétrer.
Le président Mitterrand, que vous interviewez à propos de son voyage express à Sarajevo, en juin 1992, dit ne pas regretter de ne pas avoir envoyé 150 000 hommes sur le terrain en Bosnie. Que pensez-vous de cette déclaration ?
Je pense que nul n’a jamais demandé d’envoyer – et surtout pas au président Mitterrand – 150 000 hommes en Bosnie. Le président Izetbegovic l’a toujours dit : « Je n’ai pas besoin de vos hommes, nous avons, ici, assez de jeunes Bosniaques résolus a de fendre leur pays ; donnez-leur des armes pour se défendre ; faites des frappes aériennes pour desserrer l’étau ; voilà tout ce dont nous avons besoin. »
Le président français nie avoir été mis au courant de l’existence de camps de concentration par son homologue bosniaque La séquence le montrant en parallèle avec lui prouve le contraire. Aurait-il menti par omission ?
Au spectateur de juger. Izetbegovic dit en effet : « J’ai apporté à Mitterrand la preuve de l’existence des camps. » Mitterrand répond : « Je ne m’en souviens pas. » Qui ment ? Qui a la mémoire qui flanche ?
Les révélations que vous faites sur certains agissements des Casques bleus sont accablantes.
Ce n’est un secret pour personne en Bosnie. Les autorités onusiennes se sont conduites bien souvent en complices des assassins. J’ai deux témoignages notamment qui prouvent que cette complicité ne fut pas seulement passive, mais qu’elle alla très très loin…
Vous avez demande, au cours d’un meeting à la Mutualité, « un ultimatum général aux Serbes de Bosnie, étendu à tout le territoire ». Est-ce réaliste ?
C’est la seule attitude réaliste. Faute de quoi nous resterons à la remorque de l’événement et laisserons les Serbes nous mener où ils voudront : aujourd’hui Gorazde, demain Bihac, après-demain Maglaj ou Zepa… Le cauchemar !
Êtes-vous partisan de la restitution des territoires conquis ?
Je suis partisan de la défaite du fascisme en Bosnie.
Oui. Mais les territoires ?
Je vous retourne la question. Nous sommes en 1942. Un type vient vous dire : « La France c’est fini, vous ne récupérerez jamais la zone nord contentez-vous de la zone sud. » Qu’en pensez-vous ? Ma position, pour ma part, est très claire – et c’est celle du film : la partition du pays ne serait pas un partage entre ethnies, religions, que sais-je encore ? ce serait le partage d’une Bosnie fasciste et d’une Bosnie antifasciste.
Samir Landzo, l’un des personnages du film, fait penser à un jeune résistant fiançais. Vous montrez des images d’archives du Vercors à la fin du dernier épisode. Dans quel but ?
Toute la fin du film est faite d’images, en noir et blanc, qui datent des années 30 ou 40. Pourquoi ? Vous l’avez dit. Parce que la proximité est parfois hallucinante. C’est l’hypothèse du film. Et c’est aussi, me semble-t-il, un argument propre à ébranler nos concitoyens : ces hommes sont, à leur façon, les héritiers de nos résistants.
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