CLAUDE ASKOLOVITCH : Obama reçoit le prix Nobel alors qu’il n’a rien accompli…

BERNARD-HENRI LÉVY : Bien sûr que si ! Il n’a cessé au contraire, depuis huit mois qu’il est aux affaires, d’œuvrer pour la paix et de le faire concrètement. Un exemple. La question raciale aux États-Unis. Cette plaie lancinante, purulente et, réellement, fauteuse de guerre qu’est la question raciale aux États-Unis. Eh bien depuis la veille de son élection (le discours de Philadelphie) jusqu’à ces derniers jours (sa réaction apaisée, apaisante, aux propos alarmistes de Jimmy Carter évoquant la persistance de la guerre des races dans le Sud profond) il ne cesse de réparer, cautériser, cicatriser, bref, apaiser…

Mais ses actes restent des mots !

Oui et non. Pas toujours. Quand l’homme le plus puissant de la planète rallie, par exemple, le Conseil de sécurité des Nations unies à l’idée de dénucléarisation, est-ce que vous croyez vraiment que ce ne sont que des mots ? Autre exemple : la main tendue à l’Islam lors du fameux discours du Caire. D’accord, c’est un discours. Mais c’est un discours qui, parce qu’il met un terme aux huit années de bêtise bushiste, parce qu’il sonne le glas du discours sur le choc des civilisations qui était, jusqu’à présent, la réponse américaine à la guerre lancée par Ben Laden, est également beaucoup plus qu’un discours. Le président des États-Unis d’Amérique qui tend la main aux musulmans modérés et qui leur dit que l’Amérique n’est pas leur ennemie mais leur alliée, ce ne sont pas des mots, c’est un événement historique et un événement qui, je le répète, va clairement dans le sens de la paix.

Obama le faisait-il en Occidental, ou en citoyen du monde, voire en musulman ?

En Occidental, voyons ! Obama est, pleinement, un Occidental. Et ce discours du Caire, n’en déplaise aux dingues qui veulent sa peau aux États-Unis mêmes, est un discours de grand président « kennedyen » qui dit juste au monde arabo- musulman : nous sommes vos amis, vos frères ; mais il vous reste à accomplir ce que l’Occident a réalisé dans la douleur et que vous êtes la seule partie du monde à n’avoir pas encore réalisé – à savoir conjurer, en vous, chez vous, dans vos mémoires et dans vos cœurs, cette mémoire du fascisme dans lequel vous avez autrefois, non moins que les Occidentaux, trempé et dont les mouvements type Hamas, Hezbollah, Frères Musulmans, sont, aujourd’hui, les continuateurs…

Mais que donne-t-il aux musulmans en attendant ? La Palestine reste colonisée, Israël est inflexible…

Ce n’est pas un donnant-donnant. C’est une construction commune, celle de la paix et du dialogue. Et là aussi, Obama a fait, je dis bien fait, une chose absolument énorme. Ses prédécesseurs – Bush mais aussi Clinton – attendaient la dernière année de leur dernier mandat pour s’aviser de l’existence de cette guerre israélo-palestinienne et concocter à toute vitesse, donc avec légèreté et frivolité, une vague solution dont leur « legacy » puisse se prévaloir. Lui, Obama, a fait le contraire. Il s’est mis en mouvement dès le premier jour de son premier mandat. Il a commencé tout de suite à prendre à bras-le-corps les paramètres de cette paix et de cette guerre. Et il l’a fait à l’unisson de ces citoyens israéliens et palestiniens qui, tous ensemble, d’une même voix, s’écrient : « la paix maintenant ».

Encore une fois, on est dans la posture, pas dans la réalisation… Sur le dossier iranien, la France – Nicolas Sarkozy l’a dit nettement – constate que Téhéran poursuit sa nucléarisation à l’abri du dialogue…

Oui. Mais moi je constate aussi qu’El Baradei et ses équipes vont pouvoir visiter le nouveau site nucléaire iranien, celui de Qom. Or à quoi devons-nous ce soudain accès de « sagesse » de la part de dirigeants iraniens que l’on a connus plus arrogants ? A ce mélange de fermeté et de dialogue à quoi tient toute la ligne « Obama » et qui est la seule façon, je crois, d’être pris au sérieux à Téhéran. Dit autrement, jamais la perspective de la guerre n’a semblé si crédible qu’aujourd’hui aux dirigeants de Téhéran et jamais n’a été si ouverte, non plus, la « porte de sortie » d’une solution diplomatique. C’est parce qu’il a rendu possible cette combinaison, c’est parce qu’il a habilement monté la double mâchoire de ce piège diplomatico-militaire qu’Obama commence, je dis bien commence, à faire reculer les fous de Dieu.

Et en Afghanistan ?

Même chose. Il est à l’origine d’une nouvelle stratégie qui dépasse l’alternative idiote du retrait ou de l’enlisement et dont nous verrons, je pense, assez vite les résultats.

Le principe même de donner un prix Nobel à un chef d’Etat en exercice, qui fait la guerre et peut se tromper, est étrange…

Non, si on pense, comme moi, que la guerre en Afghanistan est une guerre juste et dont la seule visée est la paix… Cela dit, bien sûr que je suis triste pour la féministe afghane Sima Samar, le dissident chinois emprisonné Hu Jia, ou la Colombienne Piedad Córdoba, qui méritaient, eux aussi, amplement le prix. Mais n’y a-t-il pas, cela dit, un point par lequel, paradoxalement, Obama les rejoint ? Tout président qu’il est, il est, lui aussi, un homme clairement, concrètement, physiquement menacé…

Un président, et un dissident ?

Non, bien sûr. Mais un homme qu’une part de l’Amérique a, littéralement, condamné à mort. Et un homme qui, du coup, appartient, si j’ose dire, aux deux familles. Celle des hommes et femmes seuls que leur combat pour la paix met en danger de mort. Et celle de ces autres grands chefs d’Etat qui ont eu le Nobel avant lui et dont deux (Rabin, Sadate…) ont, soit dit en passant, fini assassinés… Disons que le Nobel, de ce point de vue, contribue à le « sanctuariser ».

Le jury du Nobel a littéralement sanctifié Obama. Comment débattre dorénavant avec lui ? Comment argumenter, comment faire de la politique, face à un saint ?

Si c’est Ahmadinejad, ou les dirigeants de Corée du Nord, qui trouvent plus difficile d’argumenter avec lui, alors, franchement, ce n’est pas moi qui m’en plaindrai.

Mais il peut avoir tort sur le réchauffement climatique, ou sur la régulation mondiale… et un Sarkozy ou un Lula peuvent avoir raison contre lui quand on parle de régulation financière ?

Naturellement. Mais je vous répète que mon vrai souci c’est comment il arrivera à son inévitable rendez-vous avec Ahmadinejad, ou les dirigeants syriens, ou les Coréens. Et je vous répète que, là, ce que vous appelez une sanctification sera surtout un formidable atout et une chance.


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