Texte écrit avec Claude Lanzmann
En quinze jours, sous la pression d’images « romantiques » montrant des milliers de bonzes en robe couleur safran, pieds nus sur le bitume de Rangoun, la Birmanie est enfin sortie de l’oubli où elle était confite depuis quarante-cinq ans. Malgré une révolte matée dans le sang en 1988. Malgré la mise en résidence surveillée d’un Prix Nobel de la Paix. Malgré les avertissements que constituaient sa tentative d’assassinat en 2003 et le transfert brutal, décrété en 2005 par une junte paranoïaque, de l’appareil d’Etat dans une capitale sortie des jungles et désormais hérissée de missiles. Oui, quelques images or et rouge, celui des robes des moines puis du sang qui les tachait, auront suffi pour susciter l’émotion et réveiller les consciences du monde entier.
La Birmanie est sortie de l’oubli. Mais pour quinze jours seulement. Depuis le 1er octobre, aucune image ne filtre plus du pays, soumis à un black-out par une junte militaire qui maîtrise aussi la communication et réprime désormais en silence, à l’abri des regards. C’est ainsi que peu à peu la Birmanie retombe dans sa nuit, nuit qui sert de décor angoissant à des exactions atroces que nous ne verrons jamais. On parle de moines battus à coups de poing, de pied, d’humiliations, de tortures, d’opposants brûlés vifs, d’héroïsme aussi. Comment savoir ? Ces images, nous ne les aurons pas. Qu’elles soient romantiques et enflamment le cœur, qu’elles soient abominables et qu’elles le soulèvent, nous ne les aurons pas. Et si nous ne les avons pas, nous ne les montrerons pas. Or, sans images, il n’y a pas d’émotion. Sans images, il n’y a pas d’indignation. Sans images, n’y aurait-il plus de mobilisation ? Nous demandons au président de la République, Nicolas Sarkozy, et aux responsables politiques français d’en finir avec la stratégie du silence et de l’invisible mise au point par une junte qui frappe, humilie, brûle, étrangle des innocents. Dont le seul tort est de rêver tout haut à la démocratie.
Nous sommes une démocratie ! Nous leur demandons d’envoyer au plus vite une délégation de parlementaires mandatés par les principales formations politiques de la République française. Nous lui demandons d’user de son influence de chef d’Etat pour permettre à cette délégation d’élus du peuple français de se rendre en Birmanie pour voir. Et témoigner. Il y a urgence à en finir avec le silence et l’aveuglement.
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