D’Emmanuel Levinas, dans L’au-delà du verset, ce mot qui semble écrit, tout exprès, pour la Russie d’Eltsine et Primakov : « Priez pour l’État ! Sans lui, les hommes s’avaleraient vivants les uns les autres… »

Et si, derrière Jeanne d’Autun, il n’y avait, en réalité, personne ? Et si cette mystérieuse et très littéraire « maîtresse » de François Mitterrand n’était ni Giroud, ni Sagan, ni Lambron, ni Sollers ? Ruse suprême d’une société du spectacle à l’agonie qui s’inventerait des pseudonymes, des masques, etc., en nous laissant croire, à tort, qu’il y aurait un « vrai » visage derrière. Âge nouveau dans lequel nous entrerions et qui serait celui des mystifications sans gloire et comme désenchantées : l’âge des masques sans visage – l’âge où, tout à coup, serait Ajar qui veut.

La commedia dell’arte contemporaine voulait son érudit « officiel » – Borges pour temps démocratiques, chargé de disserter sur l’histoire du livre et d’inaugurer les bibliothèques. Elle l’a. C’est George Steiner.

Au Kosovo, les Alliés font les gros yeux ; leurs avions seraient prêts à décoller ; peut-être, quand ces lignes paraîtront, auront-ils même déjà décollé, frappé et fait reculer Milosevic. Pourquoi, si les choses étaient faciles, avoir alors tant tardé ? Pourquoi tant d’horreur pour rien – massacres de Drenica, égorgements à l’arme blanche de Gornje Obrinje, femmes enceintes au ventre tranché, enfants cachés dans les forêts et pourchassés ? Peut-être, justement, parce qu’il « fallait » cet enchaînement fatal. Peut-être parce que le scénario était écrit et qu’il n’est pas de « bon » scénario que l’Histoire contemporaine ne se croie contrainte d’effectuer. Hégélianisme postmoderne : tout ce qui est « scénarisable » est rationnel – tout ce qui est rationnel est, ou sera, réel.

Au hasard du nouveau livre de Sollers, cette lettre du prince de Ligne à Casanova, qui vient de lui adresser ses Mémoires : « les deux tiers de votre livre m’ont fait bander, le troisième tiers m’a fait penser ; je vous admire pour ceci, je vous aime pour cela ».

Florence Rey. Toujours cette manie de trouver à la violence, au Mal, etc., des causes socio-culturo-économiques – en l’occurrence l’influence d’une vidéo d’Oliver Stone qui, selon le tribunal, serait à l’origine de tout. Foucault (celui de Surveiller et punir et de l’Histoire de la sexualité) : l’étrange processus de déresponsabilisation qui accompagne les progrès de la justice et qui, en même temps, la dénature.

Ce qui me gêne dans le cas Steiner ? Ni ses dialogues avec Boutang. Ni ce Transport de A.H. paru il y a quinze ans, qui mettait en scène un Hitler curieusement philosémite, sioniste avant la lettre, n’accomplissant son Crime que pour hâter les temps de la Promesse. Ce n’est même pas son indulgence trouble pour Rebatet. Non. Le malaise viendrait plutôt de ce qu’il puisse – dans l’ordre, non pas politique, mais littéraire – comparer ledit Rebatet à Proust ou à Céline. Sera-t-on justiciable d’une pensée « politiquement correcte » si l’on affirme – avec quelques autres, heureusement – que Les deux étendards ne sont tout bonnement pas comparables à La recherche du temps perdu ou au Voyage au bout de la nuit ?

Besson a pris deux Serbes pour héros de son dernier roman. Ce roman, je le tiens néanmoins – mais faut-il dire « néanmoins » ? – pour l’un des plus réussis de cette rentrée.

Les deux corps du roi selon Kantorowicz – d’un côté le corps physique et éventuellement libidinal, de l’autre le corps subtil et, par conséquent, symbolique : c’est la distinction qu’il faudrait appliquer au cas Clinton ; c’est pour ne l’avoir pas fait, c’est pour confondre les deux corps et les entraîner dans le même naufrage que les Représentants, aux États-Unis, sont en train de tuer leur démocratie. Culture et politique. Un aveuglement culturel au principe, comme d’habitude, de la catastrophe politique.

Un peu pathétique, l’obsession, chez les députés socialistes, de dissoudre le mariage des homosexuels dans une catégorie générale, plus « présentable » : tantôt le concubinage hétéro, tantôt carrément les rapports entre frères et sœurs… Pourquoi ne pas dire les choses telles qu’elles sont ? Par quelle infirmité démocratique ces gens ont-ils si peur – ou si honte – de la bonne loi qu’ils ont inventée ?

Encore François Mitterrand. Dans les deux volumes de l’excellente biographie de Jean Lacouture, une seule petite déception : pas un chapitre sur les femmes. Trop à dire ? La sexualité du Président restera-t-elle, au bout du compte, le seul secret bien gardé de ses deux septennats ?


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