Pourquoi dis-je que le communisme, ou le stalinisme, ou le populisme, ont « de beaux jours devant eux » ? C’est très simple. Hier, avant la chute du Mur, on pouvait toujours opposer à ceux qui s’en réclamaient : « Voyez le résultat ; regardez les pays de l’Est et le Goulag ; vous avez là une sorte de contre-épreuve, ou de sanction, qui disent la vérité de votre illusion ». Aujourd’hui, coup de théâtre : la preuve n’existe plus, la sanction a disparu et nous entrevoyons un monde où il n’y aurait plus rien, ou presque, pour témoigner de la face d’ombre d’un discours qui prétend : « Je veux une humanité nouvelle ; je rêve d’une société sans classes ; et il est, ce rêve, l’espoir et la jeunesse du monde ». La chute du communisme (réel) est la chance du communisme (rêvé). Et loin, comme on croit toujours, que la décomposition du soviétisme signe la fin de cette histoire, elle pourrait fort bien devenir, au contraire, l’occasion de sa relance.

Le triomphe, aujourd’hui, du populisme ? Les sondages. Cette prolifération de sondages qui se succèdent au jour le jour et, certains jours, d’heure en heure – comme s’il fallait non plus, comme autrefois, photographier l’électorat afin, pourquoi pas ? d’éclairer les futurs gouvernants, mais enregistrer, pour s’y soumettre, les moindres sautes d’humeur de cet être lunatique, fantasque, capricieux, qu’est l’Opinion. Les politiques ne gouvernent plus, ils écoutent. Ils ne proposent plus, ils se plient. Et au lieu, comme jadis, de manipuler une opinion dont ils demeureraient les maîtres invisibles, voici que c’est l’opinion qui les gouverne, les harcèle et, au bout du compte, les humilie – inédite image de ces princes drogués aux sondages, s’épuisant à les suivre ou, pire, à les anticiper et transformés en oracles fiévreusement penchés sur le ventre ouvert du corps social. De la politique conçue comme une variante de la divination. Le populisme aura gagné le jour – nous y sommes presque – où l’élection elle-même n’apparaîtra plus que comme un autre sondage, à peine un peu plus solennel !

Résister au populisme ? Je n’avais guère revu Hervé Bourges depuis son départ de France-Télévision. Et le hasard veut que nous déjeunions ensemble, il y a deux ou trois semaines, le jour même de son installation à la tête du CSA. « Oui, me dit-il en substance, les sociétés modernes sont un peu folles, sujettes aux foucades, aux extravagances ou aux coups de sang d’une opinion trop souvent tenue, en effet, pour la plus impérieuse de nos idoles. Mais n’est-ce pas le rôle, alors, des institutions que de médiatiser ces embardées ? et n’est-ce pas, parmi ces institutions, le rôle d’un appareil comme celui du CSA que de refroidir une machine dont les fièvres sont fatales à l’esprit républicain ? » Bourges n’est pas, comme je l’ai lu depuis, ambitieux « pour » le CSA. C’est le CSA qui, dans une démocratie moderne, devrait avoir l’ambition – et, donc, la place – reconnue, dans d’autres domaines, au Conseil constitutionnel ou à la Banque de France. Ces matières éminemment inflammables que sont la monnaie, la justice, l’information… Ce déchaînement de passions contraires dont elles sont, désormais, le prétexte… Et ces appareils qui, du coup, délestent la société, et l’Etat qui lui est soumis, de cette part de déraison… Les institutions contre l’Etat. Les institutions contre le caprice, l’arbitraire, des souverains. Éloge des institutions, face à la montée du populisme.

Sept ans d’« ennui » avec Balladur ? C’est, dans certains cercles, la dernière formule à la mode. Je passe sur la légèreté de l’analyse. Je passe aussi sur les surprises qu’un Balladur, une fois élu, pourrait réserver à ceux qui le caricaturent si vite. Ce qui pour l’heure, et sur le fond, me frappe c’est que ce sont les mêmes qui pestaient, depuis sept ans, contre les ravages du zapping, des paillettes, de la frivolité politiques et qui redoutent que nous n’entrions, maintenant, dans l’ère du grand sommeil. Il faut choisir, chers amis. Ou bien le procès de l’État-spectacle, ou bien celui de l’État-ennui. Ou bien une politique modeste, consciente de ses limites – ou bien une politique réduite à ses coups et à son théâtre. Et la vérité est que l’on ne peut pas refuser, à la fois, l’idée d’un État fonctionnant comme une chaîne de télévision et celle d’une vie politique « anglo-saxonne » où nous serions sevrés de notre « dose » de lyrisme, de notre « rail » de ferveur et d’exaltation quotidiennes…

Le populisme c’est, aussi, une certaine conception de la justice et de ses rites. Et on risque d’en avoir une nouvelle preuve avec l’ouverture, ces jours-ci, de ce procès à grand spectacle que promet d’être le procès

Botton et, à l’intérieur même du procès Botton, celui de Patrick Poivre d’Arvor. Chacun sait – ou sent – l’absurdité des accusations portées contre le journaliste. Chacun sait – ou peut vérifier – que sa familiarité avec l’homme d’affaires, par ailleurs gendre du maire de Lyon, n’a pas eu d’effet concret sur sa façon de concevoir ses journaux et d’exercer, donc, son métier. Mais la machine est lancée. Elle a besoin, non seulement de son « bouc émissaire », mais de son casting. Et on voit bien le rôle dévolu, dans cette perspective, au journaliste le plus emblématique du paysage audiovisuel français. Gare à la justice quand elle tourne au reality show. Et gare à la démocratie quand on rend cette justice, non plus dans les prétoires, mais sur les marches du palais. PPDA est, d’abord, un de nos grands journalistes. Société du spectacle pour société du spectacle, je le préfère à « l’antenne » (où il est irremplaçable) qu’à la barre du « procès de l’année » (où il ne fera, je le crains, qu’une inutile figuration).


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