L’Afghanistan au cœur, et dans la tête, pendant toutes ces semaines. Et puis, à peine rentré, l’actualité proche-orientale et le terrible vent de folie qu’elle fait souffler sur les esprits.

Je suis de ceux – est-il nécessaire de le redire une fois encore ? – qui plaident depuis trente ans pour un Etat palestinien de plein droit, à côté de l’Etat d’Israël.

Je suis de ceux – je l’ai écrit, ici même, à maintes reprises – qui savent qu’il n’y a jamais, nulle part, de réponse purement militaire au terrorisme et qu’en n’offrant à ses adversaires aucune espèce de perspective, en ne disant rien de son projet politique et du monde qu’il entend construire avec eux, Ariel Sharon se fourvoie et égare son pays.

Je me sens proche, en d’autres termes, de ceux, et ils sont nombreux, qui, en Israël même, estiment qu’il n’y a pas d’autre issue à la tragédie que de démanteler les implantations, évacuer la Cisjordanie et Gaza, se libérer du fardeau politique et moral que représentent ces territoires – je me sens proche de ceux qui, là-bas, se sont résolus à cette « séparation unilatérale » qui permettrait, avec l’accord ou non des Palestiniens, d’arrêter les combats, de dégager l’espace pour un Etat palestinien viable et d’assurer la sécurité d’Israël.

Cela étant dit, ce n’est pas là-bas, mais ici, que je suis et j’entends, ici, à Paris, des choses qui, depuis mon retour, me semblent intolérables et folles.

Intolérables, les propos de ce grand écrivain européen, prix Nobel de littérature, José Saramago, expliquant, au bout de quelques heures passées en Palestine, que Ramallah, c’est Auschwitz.

Intolérables, les déclarations d’un José Bové osant insinuer, comme le premier négationniste venu, ou comme les salopards qui, le 11 septembre, expliquaient sur Al-Jezira que « les juifs » étaient les probables auteurs de l’attentat contre les tours de New York, que ce sont les Israéliens eux-mêmes qui, parce que le crime leur « profite », brûlent en France les synagogues.

Intolérables, ces commentateurs (pas tous, bien entendu ! et gare au procès, injuste, irresponsable, des médias « en général » !) qui, reprenant les mots mêmes de la propagande, baptisent « martyrs » ou « résistants » les auteurs des attaques-suicides contre des civils juifs dont le seul crime est de s’être trouvés là, dans tel restaurant, telle pizzeria, tel autobus à Haïfa, tel hôtel de Tel-Aviv où ils s’étaient réunis pour fêter Pâque.

Intolérable, car contraire à la vérité, l’idée selon laquelle les Brigades al-Aqsa et les autres commandos, liés ou non au Fatah, qui programment ces attaques contre les civils n’auraient « pas vraiment le choix », car il s’agirait d’un acte ultime, dicté par la détresse, le désespoir : c’est, évidemment, l’inverse ; c’est au moment même où l’espoir renaissait, c’est-à-dire après que Clinton et Barak eurent enfin reconnu aux Palestiniens l’Etat auquel ils ont droit, que fut mise en œuvre cette stratégie de guerre par la terreur.

Intolérable, quoi que l’on pense de la politique de Sharon et même si, comme moi, on la désapprouve, la béatification d’un Arafat dont tout le monde a l’air d’oublier l’écrasante responsabilité dans ce refus du plan Clinton-Barak et, donc, dans la perpétuation du malheur de son peuple.

Intolérable, en fait, cette hystérie sémantique et politique qui hitlérise Sharon, sharonise Israël, transforme l’armée israélienne en une armée fasciste visant les civils comme tels, massacrant indistinctement hommes, femmes et combattants, procédant à des exécutions massives, voire à une épuration ethnique ; et intolérable, au bout de la chaîne, l’assimilation des juifs de France à cet Israël diabolisé, accusé des pires forfaits – jusques et y compris, quand il encercle l’église de la Nativité qu’ont investie deux cents combattants palestiniens en armes, la profanation des lieux saints de la chrétienté.

Alors, j’entends aussi, bien sûr, des choses justes et belles.

Je vois, sur le même pavé parisien, des manifestations de soutien à la cause israélienne ou palestinienne qui se déroulent, l’une comme l’autre, dans la dignité.

Je rencontre, sur un plateau de télévision, des hommes émus, comme nous le sommes tous, par les images venues de Naplouse, mais sans verser, pour autant, dans l’amalgame ou l’injure.

Je lis, dans Le Monde du 10 avril, un texte sans équivoque, signé d’intellectuels arabes de renom, appelant à « ne pas se tromper de combat » et à ne pas oublier que les « partenaires les plus précieux » des Palestiniens sont ceux des Israéliens qui « œuvrent pour la coexistence de deux Etats ».

Mais je dis : halte aux incendiaires des âmes ; gare à ceux qui jettent, en ce moment, le feu dans les esprits ; ils sèment le fanatisme, la haine, au lieu de faire avancer la cause de la paix.


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