Un acteur hollywoodien croisé à Los Angeles où je donne une conférence sur le thème : « existe-t-il une autre Amérique ? » Définition même de la star (cf. Baudelaire dans « Les Phares ») : solitaire, singulière, étrangère à la lumière dont elle brille.

Cette leçon d’Augustin (livres V, VI et, surtout, VII des Confessions) selon laquelle c’est, d’abord, des livres que vient le salut ; cette histoire d’une conversion qui, autant et avant qu’affaire de « foi », fut affaire de lecture, de rapport à un texte lu, de relation personnelle à une lettre vive et ardente ; dans le livre VI notamment, et dans sa description d’Ambroise, non pas encore prêchant, mais lisant, cette insistance extraordinaire sur l’idée d’une conversion par et à travers les textes… Mon ami Benny Lévy ne disait finalement rien de vraiment différent lorsqu’il contait l’histoire de son « tournement ». Et j’entends tout à coup comme un écho de ce paradoxe augustinien dans la façon, chez ce juif intraitable, aussi peu judéo-chrétien que possible, de nous décrire sa « Techouva » comme, d’abord, une aventure de pensée. En était-il conscient ? Qu’eût-il pensé de ce rapprochement ?

Un lapsus. Attraction mystérieuse entre deux signifiants. Attirance absurde, contingente et, pourtant, empreinte d’une nécessité cachée. La politique, comme la poésie, n’est faite que de cela.

Ce n’est pas Nietzsche, mais Hegel, qui, le premier, lance sur la scène philosophique le thème de la mort de Dieu – c’est lui qui, le premier, annonce : « le sentiment sur lequel repose la religion moderne est le sentiment que Dieu même est mort » (Foi et savoir, traduction Méry, p. 298).

Un columnist néoconservateur américain auprès de qui je m’étonne de la confusion grandissante des ordres, sous Bush, entre politique, guerre et business : si l’on admet, me répond-il, la fable de Mandeville, si l’on consent à l’idée qu’une société fonctionne à partir de ses vices davantage qu’à partir de ses vertus, alors au nom de quoi la lutte contre la corruption ?

L’ordinateur sur lequel j’écris. Son disque dur. Sa mémoire implacable et cachée. Ce soin que je prends, moi-même, à stocker, sauver, mes propres données. Ce qui se perd : la possibilité même de la perte – le désir, que j’ai aussi, de l’effacement, de l’annulation. Ce qui triomphe : le destin d’une écriture semblable à celui des déchets atomiques – impossibles à détruire, juste ensevelis.

La persécution, puis la tentative d’extermination, des juifs d’Europe au XXe siècle : « sous-hommes », vraiment ? ou, au contraire, « trop humains » ?

Quand je lis cet incroyable sondage (Le Point no 1629) selon lequel une majorité d’Européens verraient dans Israël la principale menace à la paix du monde, je pense à l’absurdité, d’abord, de la situation : quoi ? dans une liste comprenant la Russie massacreuse de Tchétchènes, deux ou trois Etats terroristes dûment patentés, une Corée du Nord totalitaire et détentrice de l’arme atomique, les Européens d’aujourd’hui ne verraient pas de plus grand danger que celui représenté par la petite démocratie israélienne ? Mais je pense également, et aussitôt, à Céline qui, dans ses textes antisémites des années 30 et 40, n’avait finalement pas de meilleur argument contre la « juiverie » internationale : qu’est-ce que L’école des cadavres, par exemple, sinon cette idée, déjà, que les juifs sont les grands pédagogues de la guerre à venir ? le thème « racial » n’arrive-t-il pas, dans ce texte, loin derrière celui des juifs pousse-à-la-guerre-et-au-crime ?

La mort de Dieu, encore. Le christianisme est la première grande religion à s’être bâtie, non sur la naissance (banal), mais sur la mort (unique) de sa figure adorée du divin. Incarnation, résurrection, corps glorieux : tout part de là – tout procède, oui, de cette théologie, sans précédent, de la mort de Dieu.

Discussion, à New York, avec les responsables d’une grande organisation juive qui s’interrogent, comme nous, sur les progrès du négationnisme et la perte de mémoire qui s’ensuit : qu’est-ce qui rapproche, vraiment, les hommes ? que partagent-ils le plus volontiers ? la mémoire, vraiment ? ou l’oubli ?

Opposer à ce critique du New York Times célèbre pour ses éreintements le mot de Stendhal notant que ce que l’on appelle l’« esprit », et dont la forme la plus courante est, au fond, la « méchanceté », est « ce qui se démode le plus vite ».

Pas vu – New York, encore – l’émission de télévision, sur France 3, où un comique est arrivé sur le plateau déguisé en rabbin orthodoxe et s’écriant « Heil Israël. » Voilà. Nous y sommes. Antisémitisme gras, épais et, puisque le public semble avoir applaudi, malheureusement populaire.

Que va coûter aux Tchétchènes l’élection triomphale de Poutine, appuyé par les deux partis ultranationalistes qu’il a aidés en sous-main ?

Dix ans, jour pour jour, de « Bloc-notes ». Dix ans que Claude Imbert m’a proposé ce rendez-vous hebdomadaire avec vous, lecteurs du Point. Étrange discipline – et grande chance – que d’être ainsi sommé, chaque mercredi matin depuis dix ans, dans un climat de liberté sans pareil, d’avoir un avis et de le donner.


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