Débat sur la violence à la télé. Ce mot de Paulhan à qui un juge demande : « ainsi, vous n’estimez pas que les œuvres de Sade soient pernicieuses pour la jeunesse » et qui répond : « si, monsieur le juge ; je connais une jeune fille qui, après les avoir lues, est entrée dans les ordres ».

Numéro des Temps modernes sur l’Afrique. Enfin l’Afrique, oui. Enfin un autre regard sur ce continent ruiné, oublié, comme damné, et qui est en train, tout doucement, de sortir de l’Histoire, de mourir. Et enfin la preuve, chiffres à l’appui, que les antimondialistes n’ont, une fois de plus, rien compris : ce n’est pas la globalisation qui tue l’Afrique, puisque les rares pays qui sont pris dans le jeu du global et du mondial sont ceux qui, dans la débâcle qui a nom Rwanda, Burundi, Angola, Côte d’Ivoire s’en tirent au contraire le moins mal.

J’ai manqué les débuts de Hysteria, la pièce mise en scène par John Malkovich au théâtre Marigny. C’est dommage. Mais est-il trop tard pour dire la folie logique de ce texte ? La puissance de sa mise en espace ? L’audace onirique et lucide de cette rencontre du vieux Freud avec Dali ? Est-il trop tard, aussi, pour dire mon émotion à retrouver ce Vaneck vieilli, soumis et dépris à la fois, étrangement libre en même temps que fidèle au personnage rêvé par Malkovich ? Un Vaneck qui, soudain, irait à l’essentiel. Il ne joue plus, il dit. Il ne tisse plus, il tranche. La pièce est là, encore, jusqu’en janvier. Ou bien l’Europe a des frontières – et, alors, la Turquie n’en est pas. Ou bien elle n’en a pas, Europe est l’autre nom, comme dans le mythe grec, de ce passage du Détroit qui dément la notion même de frontière (« Europe », dit François Busnel dans sa précise et précieuse Mythologie grecque qui sort, ces jours-ci, au Seuil : cette « ravissante princesse qui vivait loin de la Grèce, sur les côtes de Syrie »…) – et alors, en effet, se pose la question de l’entrée de la Turquie en Europe. J’y reviendrai. Le plus étonnant, l’autre soir, dans la prestation télévisée de Sarkozy, c’était ce moteur politique à trois temps qu’on le voyait mettre en route, en direct, sous l’œil ébahi de Mazerolle-Duhamel. 1. A droite sans le moindre complexe (riposte, donc, à cette confusion des dires et des valeurs, à cette extinction de la querelle et du débat, dont j’ai maintes fois expliqué, ici, qu’elles furent la vraie source du lepénisme). 2. Absence totale de complaisance à l’égard dudit lepénisme (jamais on n’avait vu Le Pen si désemparé, si désarmé ; jamais on ne l’avait si magistralement privé de son argument central depuis vingt ans : « il y a, dans la langue de bois politique, des zones de non-dit, d’interdit que, moi, Le Pen, je transgresse… »). 3. S’offrir le luxe, sur certains points – la double peine, mais pas seulement –, de faire la leçon aux humanitaires et de tourner la gauche sur sa gauche (du grand art politique ; du machiavélisme littéral ; avec, au moment de sa sortie sur l’horreur du « droit du sang » et les pièges de la « volonté de pureté », un accent de sincérité que j’aimerais retrouver plus souvent chez mes amis de la gauche de gouvernement).

Les marées noires succèdent aux marées noires et les « Prestige » aux « Erika » et autres « Amoco Cadiz ». Triomphe du déchet. Catastrophe au ralenti. Le vœu secret de l’humanité serait-il de rendre de plus en plus difficile sa vie sur la planète ? Assisterait-on, là aussi, au triomphe en douceur de la jouissance de détruire, de la pulsion de mort ? « Objet a », dirait Lacan…

L’« islam modéré », donc, et ce qui le distingue de l’autre. La question n’est pas politique mais transpolitique (le fameux « politique après » lévinassien). Ce n’est pas affaire de seuls droits de l’homme, tolérance, démocratie – mais, d’abord, de métaphysique, c’est-à-dire, concrètement, de rapport aux Textes (j’appelle intégristes ceux des musulmans d’aujourd’hui qui vivent dans l’illusion d’un Livre impeccable et premier ; en face, ceux qui acceptent de se voir débiteurs de l’autre Livre, le premier, le juif – la Bible). L’arrogance fondamentaliste ou le travail sur la lettre ? C’est tout le problème de la Dette. C’est le vrai nœud de l’affaire. Là aussi, j’y reviendrai.

A propos de Vaneck encore et de son jeu dans la pièce de Malkovich, ce vieux texte de Barthes, « Le mythe de l’acteur possédé », que je retrouve dans le tome 1 des Œuvres complètes éditées par le Seuil. L’absurdité du thème de l’incorporation, par l’acteur, de son personnage. L’idée que le grand acteur ne s’identifie pas au personnage, mais le rencontre. La nécessaire souveraineté du jeu. Son cynisme inspiré. Sa grâce froide. Et la foudre sèche qui, alors, tombe sur le plateau.

De « l’élitisme pour tous », recommande Catherine Clément dans un rapport écrit – je dis bien écrit et, dans le genre, ce n’est pas courant – sur la place de la culture à la télévision. La formule est de Maïakovski. Elle date de 1917. Je trouve rafraîchissant de voir une intellectuelle la balancer ainsi, fausse naïve, dans le débat public.

Noté, dans les Carnets de Fitzgerald (Fayard) : « jamais de bonne biographie d’un écrivain ; il ne peut pas y en avoir ; s’il est vraiment bon, il est trop de gens à la fois ».


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