La question de l’âge de la retraite au cœur du débat démocratique. C’est bien. Mais pourquoi pas, tant que l’on y est, le débat sur l’âge de notre mort ? Je ne plaisante qu’à demi. L’un est le corrélat logique de l’autre.
Un lecteur de Levinas en prison. Le trouble des jurés d’assises quand ils ont eu à juger un criminel qui cherche – et trouve – son salut dans les livres. Ma satisfaction secrète face à cette nouvelle réponse à la bondieuserie laïque : la philosophie n’est pas l’amour de la sagesse ; elle n’est pas le plus court chemin vers la sérénité des âmes.
Ce mot de Thomas Mann, quelques années après la guerre, qu’il faudrait pouvoir rappeler à ceux qui, de nouveau, doutent de l’Europe et de son urgence : « si l’on ne veut pas d’une Europe allemande, il faut une Allemagne européenne ».
Un bon film tourné par un médiocre cinéaste : Mission impossible de Brian De Palma. Un mauvais film signé d’un très grand cinéaste : Jack de Francis Ford Coppola – cette fable navrante où Robin Williams incarne une âme d’enfant qu’un mauvais sort a logée dans un gros corps d’homme de quarante ans. L’équivalent, en littérature, de ce chassé-croisé entre talents et performances ?
Il y avait, l’autre semaine, l’impossible biographie de Borges. Voici aujourd’hui – et à la télévision ! – l’impossible portrait du plus mystérieux des écrivains contemporains (c’est à peine si l’on sait le visage qu’il a, le lieu où il vit, s’il est même encore vivant) : J.D. Salinger. Comment filme-t-on un mythe ? une invisible légende ? un romancier devenu, à force de se cacher, plus irréel que ses personnages ? Réponse de Benoît Jacquot, le 18 décembre, dans l’émission – décidément excellente – « Un siècle d’écrivains ».
Que reprochent à Milosevic les manifestants de Belgrade : le fait d’avoir fait la guerre en Bosnie ou celui de l’avoir perdue ?
C’est entendu : Jacques Chirac n’est pas le premier à désigner les journalistes chargés de l’interroger. De Gaulle l’avait fait, avec Michel Droit. Et Mitterrand avec Mourousi. Et les choix de ce président-ci ne sont pas, on l’admettra, les moins heureux de la série. Mais enfin quel aveu ! Aux États-Unis, on se demande « comment on fabrique un président ». En France, la question devient : « comment on fabrique l’image d’un président ». Régression démocratique. Recul sur l’Amérique. Ce qui choque n’est pas que l’on passe « pardessus la tête » des journalistes du service public (les mêmes se seraient plaints, dans le cas contraire, d’être « instrumentalisés » par le pouvoir) mais que, comme dans les mauvais opéras, la mise en scène l’emporte sur la musique (ah ! l’irrésistible tentation, quand on n’a rien à dire sur le fond, de « créer l’événement » dans la forme…). À quoi sert la télévision moderne : à devenir notre nouvelle agora – ou à diffuser des émissions produites par Jacques Pilhan ?
Il y a le dialogue franco-allemand. Mais il y a aussi – condition d’une Europe réussie – le dialogue franco-italien. Qui mieux qu’Arte la chaîne du premier dialogue – pouvait prétendre réactiver le second ? Je pense, en écoutant Jérôme Clément ouvrir le grand colloque qu’il organise, ce jeudi, au Théâtre du Rond-Point, à un texte d’Alexandre Kojève intitulé L’Empire latin et qui plaidait, déjà, pour cette bipolarité européenne…
Belgrade encore. Malaise face à ces centaines de milliers d’hommes et de femmes qui font la preuve, tous les jours, que l’on peut se révolter, dire non à Milosevic, le contraindre, peut-être pas à composer, mais au moins à les entendre – et qui ne l’ont jamais fait pendant les quatre années de la purification ethnique en Bosnie. L’Histoire avance, certes. Mais pour de bonnes raisons.
Le Picasso de James Ivory. Périls du genre. Vulgarité annoncée – et, hélas ! rarement conjurée. Sans cesse, on garde à l’esprit Le mystère Picasso de Clouzot.
Un inédit de Brecht. L’auteur d’Arturo Ui aurait, dans les années 20, croisé Hitler dans une brasserie de Munich. Son impression ? Celle d’un homme politique médiatique qui prenait des cours d’art dramatique pour parfaire sa gestuelle. Proximité d’un instant – mais qui en dit si long ! Court-circuit – mais ô combien éloquent…
Nathalie Sarraute en Pléiade. Insigne honneur pour un vivant. L’entrée dans la prestigieuse collection n’est-elle pas la plus grande part d’éternité disponible pour un écrivain – comme un avant-goût, en ce monde, d’une immortalité promise ? Autre Panthéon.
Choqué que l’on donne à la nouvelle Bibliothèque nationale le nom de François Mitterrand ? Non. Pas vraiment. Car n’y aurait-il qu’une exception à la règle non écrite qui veut, paraît-il, que les institutions de cette espèce ne portent jamais le nom d’un homme que ce serait celle-là : ce président lettré, amoureux fou des livres – le premier, dans l’histoire de la République, à s’être fait immortaliser, le jour de sa photo officielle, la main posée sur un livre ouvert. J’ajoute que ce choix libère le nom de la grande pyramide que je propose de baptiser – histoire du Louvre oblige ! – « pyramide Vivant Denon ».
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