Rachat de Time Warner par AOL. Autant dire : rachat de l’usine à rêves et à presse, de Hollywood et de Citizen Kane, par l’Internet. Cette fois nous y sommes : le XXIe siècle a commencé.

Ces artistes – Robert Bresson – dont on s’avise, au moment de leur mort, que tout le monde les croyait déjà disparus. Pis : l’effrayant lapsus, relevé par Le Canard enchaîné de cette semaine, de ce périodique (Livres Hebdo) qui, évoquant ceux qui « auraient eu 90 ans » en 2000, cite Julien Gracq aux côtés d’Anouilh et de Genet. Drame (ou grâce ?) de vivre dans un monde qui n’est déjà plus le sien.

Cette brasserie parisienne où l’on sent que chacun, même inconnu, s’attend à être reconnu. Cet air de familiarité gênée, de reconnaissance anticipée, qui fait dire aux États-Unis : « he looks like somebody ».

Ou bien Kojève avait raison et on en aura très vite cette preuve : Poutine réagissant comme un Américain, pensant comme un Américain, gouvernant son pays, et l’opinion dans son pays, à la façon d’un président américain et la deuxième guerre de Tchétchénie apparaissant alors pour ce qu’elle aura toujours été – une parenthèse, une convulsion, un vague et ultime ajustement d’une des dernières « provinces de l’empire ». Ou bien Kojève – après Hegel – s’est trompé, l’Histoire n’en finit pas de finir, d’improviser ses variations et d’avoir, en un mot, plus d’imagination que n’en auront jamais tous les penseurs de la fin : et alors le national-communisme en gestation à Moscou, Belgrade, Bucarest, ailleurs, apparaîtra comme une alternative sérieuse, et crédible, et menaçante, à ce modèle démocratique que l’on a vu, au XXe siècle, triompher du communisme. Islamisme, national-communisme et démocratie : le monde tripolaire de demain.

Plus d’édition de papier de l’Encyclopædia britannica. Mais seulement un « Britannica.com » disponible sur l’Internet. Une farce ? Une catastrophe ? Ou un progrès décisif dans la démocratisation de la culture ?

Publication par Le Monde de larges extraits du rapport de l’OSCE sur les événements du Kosovo. Enfin les choses sont claires. Primo, les exactions serbes contre les civils, notamment musulmans, ont commencé bien avant les frappes de l’Otan. Secundo, elles sont sans commune mesure avec celles qu’a pu commettre l’UCK, l’armée de libération du Kosovo. Tertio, les enquêteurs ont la preuve, toujours selon Le Monde, que ces atrocités se sont opérées selon un plan prémédité et qu’elles auraient donc eu lieu, pour parler clair, avec ou sans intervention alliée. Fin du débat.

Les écrivains français qui se sont rêvés fils, non de leur mère, mais de leur grand-mère : Proust, Céline, Baudelaire et, bien entendu, Sartre. Une autre sainte famille ?

Bernard Cousinier, à la galerie Pixi. Tableaux creusets. Reliefs ardents. Le monumental « Passeporte en croix », avec ses volumes en mouvement. La critique dit : « art postmoderne ». Ou : « abstraction géométrique ». Pourquoi ne pas rappeler, plus simplement, cette loi qui va de Michel-Ange à Frank Stella en passant par Delacroix : la meilleure peinture est celle qui se rapproche de la sculpture ?

L’erreur « stratégique » des totalitarismes au XXe siècle : avoir désigné un ennemi et avoir entrepris de le liquider. Nous autres, démocrates du siècle suivant, tomberons-nous, mutatis mutandis, dans le même panneau ? Fantasmerons-nous un monde sans négativité ? Nous assignerons-nous pour « indépassable horizon » l’euphorie triste des mégafusions et du technicisme déchaîné ?

Un général bosniaque de passage à Paris. Le problème, quand on vieillit, c’est qu’on a pris l’habitude d’exister et l’idée même de ne plus être devient insoutenable. Les jeunes, quand ils montaient vers les premières lignes, avaient beaucoup moins peur de mourir.

Élection de Paul Spiegel, nouveau président du Conseil central des Juifs en Allemagne. Je pense à Ignatz Bubis, son prédécesseur, disparu en août dernier. Je pense à la tristesse de Bubis, les derniers temps. Je pense à sa solitude. Je pense au beau combat qu’il mena – le dernier – contre ceux qui, à la façon de l’écrivain Martin Walser, prétendaient et prétendent encore « tourner la page d’Auschwitz ». Je pense à l’éminente bonté de Bubis et à l’absolu naturel avec lequel il se vivait juif et allemand, allemand parce que juif, juif parce que allemand – héritier d’une longue tradition pour qui, dans la formule « juif-allemand », l’important ce n’est ni « juif » ni « allemand » mais le trait d’union entre les deux. Qui, dans le judaïsme allemand d’aujourd’hui, donc dans le judaïsme européen, après Bubis ?

Conseil à un jeune écrivain : prendre, très vite, la place que personne ne vous offre.


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