Des essais nucléaires, pourquoi pas ? Le drame, c’est que l’on ne nous dise ni pourquoi justement, ni contre quel ennemi, ni au nom de quelle stratégie. Dommage que M. Chirac, avant d’annoncer sa décision « irrévocable », n’ait pas songé à poser la question et à le faire à haute voix, en prenant à témoin l’opinion.
Au chapitre des malentendus entre écrivains, ce mot de Hemingway sur Faulkner : « A lot of big words. »
Au chapitre des traits de génie qui ressemblent à des malentendus, cette remarque de Faulkner sur Shakespeare : « Je crois qu’il n’avait pas lu Freud. »
Chute de Srebrenica. Ce n’était pas n’importe quelle zone de sécurité, Srebrenica. C’était la ville de Morillon. C’était cette ville, déjà assiégée, où un général Courage s’était enfermé, il y a deux ans, pour faire rempart aux Serbes qui s’apprêtaient à l’investir. Et c’était un des rares lieux où, du coup, un officier de casques bleus aura osé braver les ordres, outrepasser le fameux mandat et sauver, à ses risques et périls, un peu de notre honneur perdu. Les Serbes savent tout cela. Ils ont, comme nous, dans l’oreille la voix, bien timbrée, de Morillon haranguant, debout sur son char, les civils qui, aujourd’hui, n’ont plus personne pour les secourir : « You are under the protection of the United Nations ». Et ils se doutent bien, les Serbes, qu’en disant « the protection of the United Nations », il pensait forcément, tout bas, « la protection de la France ». Qui sait alors si, en prenant Srebrenica, ce n’est pas aussi la France qu’ils ont visée ? Comment exclure qu’en choisissant d’envahir cette ville et non, par exemple, Zepa ou Gorazde, ils ne nous adressent une ultime et atroce provocation – bien plus intolérable encore que lorsqu’ils enchaînaient nos soldats à des pylônes ? Srebrenica, ou la revanche sur Morillon. Srebrenica, un formidable défi lancé à la France, son armée, son président.
Christo « désemballe » le Reichstag. Y-a-t-il eu réellement cinq millions de curieux – je n’ose dire d’amateurs – pour venir voir un monument rendu, ainsi, invisible ?
Consacré ce début d’été à relire Bernanos – le grand Bernanos, celui des écrits de combat, l’imprécateur insensé qui, face à la guerre de Bosnie de l’époque, je veux dire la guerre d’Espagne, sut trouver des accents d’une fureur inouïe pour fustiger la lâcheté des puissances, l’indignité des éminences et le scandale de l’abandon, par l’Europe, de ses propres valeurs bafouées. La sauvagerie de Bernanos dans ces pages. Une sauvagerie qui, brusquement, n’est plus celle d’un écrivain.
Aller à La Seyne, ville dont le maire est communiste, pour un grand concert anti-Le Pen… Je ne dirais pas que je m’y résolve de gaieté de cœur. Et aucun des arguments « techniques » qui nous y contraignent n’a pu vaincre, complètement, mes répugnances d’anticommuniste primaire et définitif. Mais enfin… Les communistes français… Ces staliniens devenus Scapin… Ces tigres de papier… Ce parti en loques… Ce spectre de ce qu’il fut… Et puis la conviction, surtout, que ce que je haïssais en eux, ce que j’ai tant combattu et qui me fait toujours horreur se retrouve, au fond, de l’autre côté – celui du lepénisme et de sa haine à front de taureau… Le Pen, Marchais, même sensibilité ? Je le crois, comme il y a dix ans. Sauf que je n’exclus pas, entre les deux, une transsubstantiation.
Un ami catholique : si j’ai toujours été farouche adversaire de la peine de mort, c’est aussi parce que je ne savais pas où vont les âmes des condamnés.
Un concert, le 14 juillet. Ce signifiant-là, en revanche, c’est peu dire que je l’assume. Car que signifie, au juste, le 14 juillet ? Si c’est celui de 1789 et de la prise de la Bastille : la chute d’un symbole de la tyrannie, une fête de la liberté. Si c’est 1790 et la Fête de la Fédération : la naissance du contrat social moderne, l’avènement de l’idéal citoyen. Deux raisons, en tout cas, de choisir cette date symbole. Deux raisons de refuser le hold-up de ceux qui voudraient faire de cet anniversaire – et cela ne date pas d’hier – une fête « nationale », pour ne pas dire « nationaliste ». Profiter de la circonstance pour rappeler, oui, que le 14 juillet n’est pas une fête nationale, mais une fête de la citoyenneté.
Le meilleur Bernanos et aussi le pire. Les imprécations contre l’argent par exemple… Comme je leur préfère cette page si belle de Lévinas expliquant qu’il y a une « signification éthique » de l’argent et qu’il peut, cet argent maudit, « contribuer à l’humanisation du monde ». La preuve ? Grâce à lui, ce ne sont plus des choses que nous troquons mais des objets que nous échangeons. Et ils sont, ces objets, nés de l’industrie, l’intelligence, l’amour des humains…
Bouleversante Jane Birkin, ce soir, au journal de Patrick Poivre d’Arvor. Elle dit ce que nous disons tous, depuis trois ans, au retour de Sarajevo. Mais l’indignation est « fraîche ». Et c’est comme si elle retrouvait, dans sa bouche, la virulence des mots qui n’ont jamais servi. Souvent, j’ai rêvé d’une autre langue, tout neuve, rien que pour dire l’horreur bosniaque ; cette langue, une actrice l’invente là, en direct, semblable à ces vierges folles des premiers temps de la Chrétienté qui se mettaient soudain, devant les foules stupéfiées, à inventer un idiome que nul n’avait entendu, ni n’entendrait jamais plus. On appelait cela des « glossolalies ». C’est l’autre nom d’une parole inspirée.
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