Attaquer Saddam Hussein ? Oui, bien sûr. Ce n’est pas ici que l’on défendra ce massacreur de Kurdes et de chiites, ce terroriste, ce mégalomane suicidaire, ce fou, ce Néron actionniste dont, en 1998 déjà, Massoud me confiait qu’il était en possession d’armes chimiques et bactériologiques massive auxquelles il ne manquait que des vecteurs fiables. Reste que cette attaque sera une tragique erreur si elle n’est précédée par deux opérations décisives. Une opération diplomatique, d’abord, assurant les États-Unis, comme avant la guerre du Golfe, de la neutralité, voire du soutien logistique et tactique, d’un ou plusieurs Etats arabes modérés. Une action proprement politique ensuite, renforçant, comme en Afghanistan, les opposants intérieurs à Saddam, la relève possible, l’alternative, bref l’équivalent irakien de cette Alliance du Nord sans qui l’ordre taliban régnerait toujours sur Kaboul. Peut-être George Bush est-il un bon chef militaire. Il lui reste à faire la preuve – et d’urgence – qu’il est aussi un vrai responsable politique.
Coup de téléphone de Zygmunt Ostrowski, l’homme avec qui nous avions, l’année dernière, affrété le monomoteur qui nous avait posés au cœur des monts Noubas assiégés par l’armée islamiste de Khartoum. Ça y est, me dit ce médecin franco-polonais, africain de cœur, qui est devenu l’auteur, entre-temps, d’un des meilleurs livres sur le Soudan, Coulisses d’une guerre oubliée (L’Harmattan) ! Ça y est ! Le président el-Bashir vient de rencontrer John Garang à Kampala. Et c’est peut-être la fin du calvaire pour nos amis animistes et chrétiens bombardés depuis trente ans par les « Arabes » du Nord. Mais non… La trêve aura été de courte durée. Et les combats, aux dernières nouvelles, auraient repris de plus belle. Je repense à Garang. Je le revois, avec ses yeux d’enfant vieilli, agrandis et fixes quand il parlait. Je revois ce Kurtz, au cœur de ses ténèbres, me dire, dans un souffle, que cette guerre durerait autant que sa propre vie. Guerre totale. Guerre civile mondiale. Etat de siège généralisé et état d’exception planétaire. Le visage du siècle qui commence ?
Il faut essayer d’imaginer l’arrivée de David Gritz à Jérusalem. Il faut imaginer son éblouissement de jeune intellectuel laïque face au premier mystère de la Ville sainte. Il faut imaginer sa joie. Ses coups de téléphone rassurants à ses parents. Il faut l’imaginer déballant ses livres sur Lévinas et sur l’histoire du totalitarisme. Il faut imaginer sa dernière conversation, à la cafétéria, dans la chaleur extrême de l’été, juste avant que l’homme-bombe ne le tue. La paix. Dans ce haut lieu de la cohabitation entre toutes les communautés et confessions, dans ce temple du judaïsme libéral et moderne qu’est l’Université hébraïque de Jérusalem, David a forcément parlé de la paix : il était brillant et modéré, savant et courageux, il était le parfait représentant de ces jeunes juifs français qui arrivent à l’âge d’homme décidés à être fidèles à la double injonction de défendre inconditionnellement Israël et de tendre néanmoins la main à leurs frères palestiniens – et c’est la raison pour laquelle je suis à peu près certain qu’il était en train de parler de la paix et de sa détermination, comme la plupart de ses camarades, à vaincre les forces de la haine. C’est cela que l’on a atteint à travers lui. C’est un peu de tout cela qui est mort, la semaine dernière, avec lui.
Renaud Camus, pendant ce temps, défend sur son site Internet (Le Monde, 13 août) une conception « raciale » de la nationalité. Les notions de « race » et de « nation » n’ont cessé, regrette-t-il, de « perdre du terrain » tout au long du XXe siècle. Et si elles perdent du terrain, c’est « en partie », insiste-t-il sur ce ton cauteleux dont j’ai eu l’occasion de dire, à propos de son dernier livre, qu’il rend plus odieux encore son antisémitisme obsessionnel, si elles perdent du terrain, c’est en partie « sous l’influence des intellectuels, des journalistes et des hommes politiques juifs qui pouvaient difficilement s’en accommoder si leur famille ou eux-mêmes étaient d’immigration récente ». Médiocre pensée. Écrivain pathétique, navrant. Mais signe des temps.
J’avais oublié (mérite des relectures de vacances !) que, dans Les Gommes de Robbe-Grillet, les deux commissaires chargés de l’enquête s’appellent « Laurent » et « Fabius », le « commissaire général Laurent » et le « super-commissaire Fabius » – j’avais oublié que, page 65 par exemple, quand Wallas « débouche sur la place de la Préfecture », c’est une « lettre d’introduction de Fabius » qui lui donne accès au « commissaire général Laurent ». Le livre, je le rappelle, est de 1953 – date à laquelle le « vrai » Laurent Fabius n’a encore que 7 ans. Witz littéraire ? Coïncidence ? Obscur clin d’œil – mais à qui, pourquoi, et dans quelle très ancienne circonstance ? Ou le réel qui, comme d’habitude, finit par ressembler aux livres ?
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