Ma thèse sur le pouvoir algérien était : « ces gens ne sont pas des assassins, ce sont juste des incompétents ». Eh bien, il y a des gens qui, parmi eux, ne sont pas du tout, du tout, contents de la thèse. Mieux valait l’autre formule, disent-ils – mieux valait passer pour des assassins que pour des incompétents : et ils me le font savoir en interdisant un film sur l’islamisme radical en Algérie.
Hillary Clinton en Corrèze. Emma Thompson à Cannes, dans le rôle de « la » présidente. Laquelle est la vraie ? Qui dit la vérité, et pourquoi ?
Cannes encore. La salle en transes – ovation debout, émotion, grand moment, etc. – quand Kofi Annan, secrétaire général de l’Onu, vient dire : « l’art est une des formes les plus libres de la communication ». Se rend-elle compte, la salle, que c’est ce que l’on peut dire de plus plat, et de plus bête, sur « l’art » ?
Tarek Aziz à Paris. Empressement des marchands de pétrole venus sonder ses désirs, ses intentions – lui faire fête. Les affaires, les affaires… Et le monde qui, soudain, se prend à singer ses pires caricatures…
La toute première des « lettres de prison » de Céline (éditées ces jours-ci – enfin ! – par Gallimard) : « je n’ai pas fait de propagande » ; je n’ai « jamais de ma vie » écrit « un seul article de journal » et « encore moins parlé en public ou à la radio » ; je suis « responsable », autrement dit, d’« un livre », et d’un livre seulement, Les beaux draps. Toute la question est là. Qu’est-ce qui, pour un écrivain, est le plus « grave » : un livre ou un article de journal – un pamphlet antisémite abject (mais composé) ou un acte de propagande étourdi ?
Le point commun à tous les critiques télé, à peu près sans exception : ils n’aiment pas la télévision.
Biographie de Blanchot. Six cents pages (éditions Champ Vallon). Je vais tout de suite aux pages sur les années troubles de l’auteur de Thomas l’obscur. Il faut le savoir : les gens ne s’intéresseront vraiment, dans nos vies, qu’à ce que nous aurons voulu cacher.
Que vaut-il mieux, qu’est-ce qui protège le mieux la vie d’un écrivain : le silence ou le bruit ? Le retrait ostentatoire ou, au contraire, le tumulte, le malentendu sonore et assumé ?
Dans la biographie que lui consacre Béatrice Mousli (Flammarion), un Valery Larbaud qui attache plus de prix à ses traductions de Joyce ou de Whitman qu’à l’achèvement de sa « propre » œuvre. Dans une lettre de Franz Rosenzweig (L’écriture, le verbe et autres essais, aux PUF) : « traduire est, en tout état de cause, le but propre de l’esprit » – et, plus loin, dans le même livre : il y a des concepts de Spinoza qui sont, en traduction, « plus originaux que l’original ».
Dans la biographie de Bernanos par Jean Bothorel (Grasset), le portrait d’un grand écrivain, gaulliste, antinazi, résistant à sa façon – et aveuglé, jusqu’à la toute fin, par la passion antisémite. Une certaine France, à nouveau. Celle qui (Bernanos, donc) fait grief à Hitler de « déshonorer l’antisémitisme » et qui (aujourd’hui) trouve que Le Pen « fait du tort » aux idées justes du Front national.
Jadis : l’éternel retour. Aujourd’hui : l’éternel remake.
Les « immigrés de la seconde génération » : contradiction dans les termes ; l’une de ces formules pièges qui marquent la lepénisation des esprits.
Ce qui manque le plus à la commémoration de Mai 68 ? La rage. Cette lucidité « furieuse », et « enragée », dont parlait Bataille et qui « mêle le rire à l’esprit religieux le plus profond ». Au lieu de quoi, la haine. Comme dans toutes les commémorations, la haine profonde, viscérale, à peine déguisée, de ce que l’on est censé célébrer. Dans un monde sans rage ni vraie mémoire, dans un monde voué à cette haine et au ressentiment, la commémoration comme un pense-bête.
À conserver tout de même, dans cette célébration de Mai : le feuilleton de Patrick Rambaud dans Le Monde ; le roman de Romain Goupil, À mort la mort, chez Julliard ; et puis, du même Goupil, l’admirable Mourir à trente ans que rediffuse France 2, à une heure du matin. Une heure du matin ! Est-ce que c’est une blague ?
Avalanche de courrier après mon bloc-notes sur Millon. Il faut savoir, chers lecteurs. Ou bien Millon croit vraiment qu’en gouvernant sa région avec onze vice-présidents Front national ou en donnant la commission culture au néo-païen et ex-fondateur du Grece Pierre Vial il aide la droite républicaine à reprendre l’avantage sur le parti lepéniste, et c’est, en effet, une sottise. Ou bien il n’en croit rien, il a juste voulu garder le pouvoir à tout prix (et même si le prix à payer est cette « union des droites » dont son conseil régional devient le laboratoire), et il prend le risque, alors, d’intégrer le FN dans le jeu politique, de banaliser ses hommes et ses idées, bref, de dire aux Français qu’entre la « droite libérale » et la « droite fasciste » la différence est, non de nature, mais de degré – et c’est, évidemment, une infamie. Sottise ou infamie, il faut choisir – et l’on ne voit pas de troisième terme.
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