Antonioni : « généralement, je trouve les extérieurs avant même d’écrire le scénario ». Puis : « pour pouvoir écrire, j’ai besoin d’avoir clairement à l’esprit tous les lieux de film ; il se peut même qu’une histoire me soit suggérée par un lieu ». Puis encore : « j’aime me trouver seul là où je dois tourner ; j’aime commencer à sentir l’atmosphère sans les personnages, sans les personnes ».
On connaissait le carême alimentaire. Voici le carême cathodique tel que, dans son dernier prêche, Jean-Paul II l’a proposé. Une fois de plus, le Saint-Père touche juste. Une fois de plus, il dit la vérité de l’époque. Et, une fois de plus, il est peut-être en avance d’une idée et d’une solution. Faisons un rêve. Imaginons un jour par semaine sans télévision du tout. Les gens recommenceraient de lire et de parler. Ils réapprendraient à s’aimer ou à se détester pour de bon. Qui ne voit qu’il y aurait là une avancée, soudaine, de la civilisation et de ses manèges ?
L’épouvante des contemporains de Dreyer quand, pour la première fois, ils virent le visage de Jeanne d’Arc en « gros plan ». L’un : « le film le plus effrayant qui ait jamais couvert l’écran ». L’autre : le sentiment, en sortant de la projection, « d’avoir assisté à des débats entre personnages antédiluviens dont les proportions sont différentes des nôtres ». Le troisième : « comment nous émouvoir avec des personnages dont la peau est trouée de cratères, marbrée de taches de rousseur qui ont l’air de tartes ? »
Lettre d’un ami qui me rapporte ce qu’il croit savoir de la présence en Bosnie, non seulement de diplomates, mais d’agents iraniens. Lui répondre (même si je le fais pour la énième fois) : primo que ce type de rumeurs dont la presse se fait régulièrement l’écho ne me surprend qu’à demi ; secundo que je suis même plutôt étonné que le phénomène n’ait pas connu, pendant les quatre années de guerre et d’abandon par l’Occident, ampleur plus considérable ; tertio que c’est précisément pour conjurer la généralisation d’un tel mouvement que je me suis, avec d’autres, mobilisé aux côtés du peuple bosniaque. Ce que nous défendions en Bosnie ? Contre tous les fondamentalistes, les valeurs de laïcité, tolérance et cosmopolitisme.
Un visage au cinéma ? Pirandello : « un masque nu ».
Regain de violence en Corse. Attentat contre Guy Benhamou, journaliste à Libération. Tentative, à travers lui, d’intimidation des médias nationaux. Au-delà de l’émotion, et de la solidarité, je me pose une question à laquelle aucune théorie ne m’a, jusqu’ici, apporté de réponse satisfaisante : que se passe-t-il, au juste, dans la tête d’un terroriste corse ? d’où vient son désir d’autonomie ? que veut-il ? que dit-il ? à quel type de peur, de panique obéit-il ? Le XXIe siècle sera-t-il le siècle des replis identitaires ? et pourquoi ?
Réponse à la question précédente. Ou, mieux, formulation plus précise de la question. C’est à un autre ami – psychanalyste, celui-là – que je la dois. Dans les années 70, me dit-il, la grande question, chez les patients, était : « qu’en est-il de la jouissance et comment l’éprouver sans entraves ? » Dans les années 80, elle devenait : « qu’en est-il de l’argent et des moyens d’en obtenir davantage ? » Dans les années 90 elle s’est transformée : « qui suis-je ? qu’en est-il de mon identité, de ce qui la fonde ou la défait ? » Analogie de l’ordre des choses et de celui des inconscients. Unisson du murmure des divans et de la rumeur du monde. Drôle de fin de siècle, oui, qui semble tout entière hantée par l’impératif le plus pauvre, le plus navrant : celui, tout simplement, d’être soi. Cioran (je cite de mémoire) : je ne saurais m’intéresser, en ce monde, qu’aux gens qui n’ont pas le souci d’eux-mêmes.
Les éditions Plon à nouveau condamnées pour avoir publié le livre du docteur Gubler. Les juges n’ont plus, comme il y a deux mois, « l’excuse » de l’émotion et du climat du deuil national qui suivit la mort de François Mitterrand. Reste ce qu’il faut bien appeler un acte de censure. Olivier Orban : le premier éditeur saisi depuis l’époque, que l’on pensait révolue, où l’on persécutait les Pauvert et les Losfeld.
Le « sens de la vie ». J’appartiens à une génération pour laquelle – antihumanisme oblige… – la formule même paraissait sacrilège. Or voici que Luc Ferry, dans son nouveau livre, « L’homme-Dieu », revisite à sa façon cette vieille obsession des humains. Sa thèse, savante et sereine, suggère, en substance, que nos sociétés, ayant fait leur deuil des anciennes transcendances « verticales », sont condamnées à réinventer un sens « horizontal », donc laïque, à l’amour, au sacrifice, au destin. C’est là un pari philosophique dont l’optimisme m’intrigue. Ne suis-je pas resté, comme à vingt ans, de ceux qui croient que le désenchantement du monde a jeté les hommes et leurs sociétés dans une déréliction définitive ? Ciel vide. Lucidité sans appel ni recours. C’est, depuis dix ans, mon débat avec Ferry.
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