Dieudonné chez Le Pen. C’est comme, l’année dernière, Tariq Ramadan chez les altermondialistes français et anglais. Ou le dramaturge Harold Pinter, jadis, dans les comités de soutien à Milosevic. Ou le bon Noam Chomsky passant logiquement, implacablement, d’un négationnisme à l’autre. C’est presque trop beau pour être vrai. Trop vrai pour ne pas faire froid dans le dos. Il y a des moments où l’on a l’impression que ce n’est plus la peine de se fatiguer, qu’il faudrait juste laisser faire, laisser dire, et que l’Histoire s’écrit toute seule. « Dieudonné fils de Le Pen… Le Pen n’avait que des filles… Eh bien, voilà, dans sa clémence, Dieu lui a enfin donné un fils et il s’appelle donc Dieudonné… » Je l’ai écrit ici. Dans ces termes. Il y a deux ans. Et je me demande même si l’ex-comique n’a pas essayé de me faire un procès pour avoir énoncé cette évidence. Maintenant, donc, cette confirmation. Cette image. Cette grimace de la vérité et d’un court-circuit qui est, hélas, celui du moment.

Marre, en même temps, de la politique. Il y a des moments, comme cette semaine, où l’on n’a tout à coup plus envie de commenter ce ballet trop bien réglé où chacun est dans son rôle et où ce sont les événements eux-mêmes, les vrais, qui semblent s’être mis aux abonnés absents – Ségo, Sarko, boulot, dodo, quel ennui… Envie, ces semaines-là, de parler du reste. Les petits riens du reste et de la vie. Ce ciel d’aquarelle apocalyptique, ce matin, à Los Angeles. Cet érudit californien à qui je parle de Durban, mon obsession depuis septembre 2001, et qui me répond : « ah oui, la ville d’enfance de Pessoa ». Cet autre qui m’apprend que Breton, oui, André Breton, fut, dans sa prime jeunesse, l’un des derniers correcteurs de la Recherche du temps perdu et que c’est à lui que la première édition du livre doit donc, selon toute vraisemblance, quelques-unes de ses coquilles géniales. Ou encore cette nouvelle de Balzac que je ne connaissais pas non plus, Échantillon de causerie française, et qu’il faudrait pouvoir distribuer, mercredi 15 novembre, à Toulouse, à tous ceux qui viendront témoigner en faveur de Robert Redeker : la philanthropie a tué le roman, explique l’auteur des Contes drolatiques ; le droit, non seulement de rire, mais de médire et de blasphémer de tout, absolument de tout, voilà l’oxygène des civilisations.

Brenner ? Trop petit, pour le coup. Vraiment trop petit. Et trop triste de voir notre vieux compagnon, côtoyé pendant vingt-cinq ans chez Grasset, avec son bon sourire et son air de papillon de nuit, manipulé ainsi post mortem et jeté aux chiens qu’il préférait certes aux humains – mais tout de même… Car, enfin, pourquoi tient-on un tel journal ? Pour être publié, vraiment ? Et publié comme cela ? Brut ? Sans retouches ni remords ? Ce De la misère en milieu écrivant où un grand lecteur, un éditeur, brûle, devant nous, à petit feu, tout ce qu’il a un peu aimé ? On songe à saint Bonaventure obtenant de Dieu le droit de continuer ses Mémoires après sa mort. Ou à Chateaubriand rêvant de « ressusciter à l’heure des fantômes », pour corriger les épreuves des siennes. Ou au mot fameux de Hegel, mais dont on oublie toujours la fin : s’il n’y a pas de grand homme pour son valet de chambre, ce n’est pas parce que les grands hommes n’existent pas, mais parce qu’il y a trop de valets de chambre. Voilà. Hélas.

Et, en même temps, ce n’est gentil ni pour Brenner ni pour les valets de chambre. Car il y a deux lignes sur la question, n’est-ce pas ? Celle de Hegel qui est aussi celle de Joseph Roth dans un texte de 1937 rappelé par Alain Finkielkraut dans l’entretien si étrange mené, via Elisabeth Lévy, avec Rony Brauman et que publient les éditions des Mille et Une Nuits : la philosophie, non pas exactement du valet, mais du concierge comme symbole de l’abaissement moral de l’époque.

Et puis celle de Proust justement qui, lui, les aimait bien, les valets, et avait même tendance, parfois, à y voir ses seuls amis : il y a un joli livre de Jérôme Prieur (Proust fantôme, Gallimard, réédité ces jours-ci chez Folio) où on le voit jouer aux dames avec sa gouvernante, s’acoquiner avec les liftiers du Ritz, soudoyer les chasseurs et les maîtres d’hôtel de Cabourg, tisser tout un réseau d’espions dans les maisons de passe et les bouges, bref faire société avec ce peuple de la nuit et de la ville. Pitié pour le valet !

Il y avait un grand sujet, pourtant, cette semaine. Ou, plus exactement, un vrai grand homme. Il est américain. Il s’appelle Barack Obama. Et, non content d’avoir été l’une des vedettes incontestées de ces mid term elections qui ont signé, comme prévu, la défaite de Bush et de Rumsfeld, il pourrait bien devenir l’un des candidats démocrates les plus sérieux pour la course à la Maison-Blanche dans deux ans. Ce jeune sénateur né d’un père kényan et d’une mère de Kansas City, ce politicien de couleur mais qui, pour la première fois, n’est plus le descendant d’une famille d’esclaves de l’Alabama ou du Tennessee, ce Clinton noir aux gestes de voyou magnifique mâtiné de King of America et dont le nom, en swahili, veut dire, paraît-il, « béni », il se trouve que je le connais un peu. Et donc, j’y reviendrai.


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