Centenaire de la loi de 1905. Pourquoi répéter partout que la laïcité, c’est la liberté de culte et de croyance ? Non. Liberté de croire ou de ne pas croire. De pratiquer ou de ne surtout pas pratiquer. Distinction qui, pour nos concitoyens de tradition musulmane, pour les jeunes filles, par exemple, contraintes de porter le voile, change évidemment tout.

Arthur Miller, je l’ai connu, à Paris, il y a quinze ans, lors de la parution, chez Grasset, de ses Mémoires. Sa haute silhouette d’adolescent qui ne s’est pas vu vieillir. Ses allures de grand prof, érudit et modeste. Cette lutte que l’on sentait, en lui, contre d’invincibles chimères. Et puis, bien sûr, Marilyn, fantôme aimé et envahissant, invincible présence elle aussi : une vie si longue, des pièces si nombreuses, ces blocs de mémoire qui le traversaient et, de littérature en politique, des Sorcières de Salem au Vietnam et aux dégénérations diverses de la mystique américaine, lui faisaient chevaucher tous les âges, ou presque, du siècle – et toujours, dans chaque interview ou conversation, le moment où l’on arrivait à Marilyn ; et toujours, chaque fois, la même façon de faire l’embarrassé, encombré de son propre mythe, lassé de ce spectre qui le suivait et auquel il sentait bien que son existence était condamnée.

Droit au secret, encore. Personne n’avance à visage découvert. Jamais.

Rire de tout ? Oui. Mais rire. Vraiment rire. De ce grand rire baudelairien, « témoin d’une chute ancienne », que l’auteur des Fleurs du mal liait au souvenir du péché originel. On en est loin. Très loin. Mais peut-être le rire est-il une affaire trop sérieuse pour être laissé aux seuls humoristes.

Même chose pour la lutte contre l’antisémitisme. Chose trop sérieuse, là aussi, pour être laissée aux seuls professionnels du genre. Matière si terriblement radioactive que l’on tremble d’entendre tel responsable communautaire déclarer que, des salles du Zénith à l’hôtel Matignon, de telle banlieue chaude aux bureaux du Quai d’Orsay, courrait un même fil et se déclinerait un même discours. Simplification. Amalgame. Et surtout, surtout, risque, en parlant ainsi, en imputant à un facteur unique ou, tout au moins, principal la responsabilité ultime des dérapages, en faisant remonter à la politique étrangère de la France et à ceux qui la conduisent ce fil qui relie l’ensemble – risque, oui, de retomber dans le piège de la causalité diabolique qui est, comme chacun sait, le cœur de ce qu’il nous faut combattre. Conspirationnisme retourné. Imaginaire du complot inversé. Ce juste combat mérite mieux.

A propos de silhouette, pas encore vu le film de Guédiguian tiré du livre de Benamou. Mais les photos. Et, dès les photos, l’hallucinante image d’un Bouquet métamorphosé en Mitterrand ou d’un Mitterrand, on ne sait, réincarné en Bouquet. Un homme serait-il à ce point réductible à sa silhouette ? Un destin à ses attitudes ? Une vie, une âme – et quelle vie ! quelle âme ! – à une collection de gestes familiers ?

Dans ses Conversations avec Maria Luisa Blanco (Bourgois), cette phrase si drôle d’Antonio Lobo Antunes : « je suis modeste mais je comprends Oscar Wilde quand on lui a demandé quels étaient à ses yeux les dix meilleurs livres du siècle et qu’il a répondu : vous me posez là une question très embarrassante, car je n’en ai écrit que quatre ».

Petit déjeuner avec Condoleezza Rice, à Paris. Jambes. Port. Casque impeccable des cheveux. Sourires calculés et parfaits. Séduction tous azimuts. Charme. Et puis soudain, à la fin, en réponse à une question de Jean-Marie Colombani lui demandant ce qu’il en est de son ancienne résolution de « punir la France », un éclair dans le regard, furtif mais terrible : l’œil d’Uma Thurman dans Kill Bill ; celui de Fouché dans le portrait, par Balzac, de la bête d’Etat que l’on vient chatouiller…

« Le gouvernement et le peuple syrien adressent à la famille de M. Hariri ainsi qu’aux familles des autres victimes leurs sincères condoléances. » On connaissait le comique de situation. Le comique de répétition.

Voici – merci Bachar el-Assad ! – le comique de provocation ou, mieux, de préméditation.

A mon tour, Florence Aubenas, j’écris ton nom. A mon tour, celui de ton chauffeur syrien, Hussein Hanoun al-Saadi, ainsi que de l’envoyée spéciale du Manifesto, Giuliana Sgrena. Mais à mon tour aussi, comme les organisateurs du concert de solidarité à l’Olympia, comme Robert Ménard, Serge July, les autres, j’adjure de ne pas oublier les noms de Guy-André Kieffer et Frédéric Nérac, ces journalistes « manquants » – terrible euphémisme pour une situation à laquelle le XXe siècle nous a, hélas, habitués et qui est celle de ces morts-vivants, de ces corps sans trace, que l’on appelait aussi, en Argentine ou au Chili, des disparus.

Qui a dit : un livre n’est jamais fini, il est juste définitivement inachevé ?

Et si les religions valaient aussi par la qualité des incroyances qu’elles ont su ou sauront inspirer ?


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