Il était obsédé par le fragment. Voici qu’on l’édite en continu, massifié dans des « œuvres complètes » (Seuil, 5 volumes). Singulière fortune de Roland Barthes. Heureuse, mais paradoxale, fidélité.

Bertrand Delanoë, le Truman de la politique française ?

Colloque, à la Sorbonne, sur l’ennui. Si les enfants, à l’école, ne travaillent pas, s’ils se mettent en marge de la société, s’ils deviennent drogués et, un jour, délinquants, ce serait, nous dit-on, parce qu’ils s’ennuient ; et il n’y aurait pas de meilleure pédagogie, il n’y aurait pas, pour les sociétés et les Etats, de tâche plus urgente que de lutter contre cet ennui, de mettre les écoles à l’heure de l’entertainment généralisé – un peu plus et on verrait dans l’ennui, comme dans la vieillesse, l’un des péchés contemporains… Je crois l’inverse. Je crois qu’il y a une pédagogie de l’ennui. Je ne crois pas qu’il y ait d’apprentissage qui ne doive faire sa part à l’ennui. Je suis convaincu qu’il est, cet ennui, une dimension constitutive de l’éducation et de l’humain. Auguste Comte : l’une des différences entre l’humain et l’animal, c’est que l’animal ne s’ennuie jamais.

L’allure de Dominique Strauss-Kahn, l’autre soir, sur France 2, face à Mazerolle et Duhamel. Gravité et humour. Bonhomie et, dans le regard, des éclairs de férocité. Et puis cette impression d’en avoir toujours sous le pied – comme si, sur ses amis et ses adversaires, sur le programme des socialistes et sur ce qu’il a d’insuffisant, sur Besancenot, Raffarin, il ne lâchait jamais qu’une infime partie de ses munitions. Un jour, il faudra, comme dit l’autre, « abattre son jeu ». Mais, pour l’heure, quel animal politique !

On fait deux reproches bizarres à Scorsese. Sa complaisance à l’endroit de la violence – décidément, quelle époque ! Son goût de se citer lui-même (première scène de Gangs of New York : l’homme qui se rase et, en se rasant, se coupe) – démarche d’artiste, au contraire ! obsession, comme tous les artistes, de quelques thèmes et motifs essentiels !

Philippe de Saint-Robert et ses compagnons d’équipée à Bagdad. L’intellectuel baladé dans toute sa splendeur. Navrant.

Un grand cinéaste est mort. On dit les dix films de Pialat, comme on disait les treize films de Kubrick.

Que se passe-t-il dans la tête d’un vieux gouverneur américain – bushiste, Républicain, partisan de la peine de mort – qui, à la veille de partir en retraite, obsédé par l’idée de la possible erreur judiciaire, décide de gracier 160 condamnés et de vider les couloirs de la mort ? Il y aurait, dans ce seul instant, matière à un formidable roman, à un film.

Nabokov disait qu’on devrait pouvoir juger un homme, une idéologie, une idée, à la voix. Eh bien, voilà. L’autre soir, encore, sur France 2, la voix de Philippe de Villiers face à Strauss-Kahn : nasillarde, haut perchée et qui semblait, tout à coup, ne plus contrôler ses aigus – une voix qui monte à la tête, très vite, mais sans dérailler.

Jacques Audiberti, il y a longtemps, dans Les Cahiers : un film a « tout à gagner à être mexicain ». Oh oui ! Aujourd’hui encore, le beau Japon de Carlos Reygadas – juste un peu long, parfois, mais qu’importe ; la magie des aubes sur Velasco, des « barrancas », de la folie urbaine de Mexico-City – la grande et belle et si mélancolique magie mexicaine…

Notre silence sur la Tchétchénie. Comme un stock de colère, une réserve d’indignation et de révolte, qui seraient, simplement, épuisés. J’ai honte. Nous devons, tous, avoir honte.

Un livre sur les relations Hemingway-Fitzgerald (Hemingway contre Fitzgerald, Belles Lettres). Le second, à propos du premier : « je n’écris plus, Ernest a rendu ma propre écriture inutile ». C’est la réaction de Bourget quand il voit paraître Proust. De Drieu quand il découvre La condition humaine. Soit. Mais lui… Fitzgerald… Quel malentendu ! Quel aveuglement !

On devrait faire, au cinéma, comme en littérature. Il y a des livres qui font cinq cents pages – et il y en a qui en font quatre-vingts. Pourquoi, avec les films, ce moule de la sacro-sainte heure et demie ? pourquoi les cinéastes ne choisiraient-ils pas de faire des films de neuf heures ou de dix minutes ? Il y a des films qui croient qu’ils font quatre-vingt-dix minutes mais qui en font quinze. Il y a des films courts qui sont trop longs, des films longs qui semblent courts.

Gide, dans son Journal, à propos d’Assouan : ennui des paysages où trop d’imbéciles se sont pâmés ; charme de ceux, au contraire, qu’aucune renommée n’a précédés. Exactement ce que je ressens, ici, au cœur des montagnes Vindhya, en Inde, Etat de Madhya Pradesh, dans ce village que je ne connaissais pas et qu’aucune littérature n’a signalé. J’y reviendrai. Mais ailleurs.

Deux stratégies possibles pour un écrivain. S’acharner, s’entêter et, en fait, « enfoncer le clou ». Changer, bouger – comme pour « brouiller les pistes ». Fitzgerald encore, à Tijuana, au Mexique, avec Sheilah Graham, dont il partage la vie autour de 1938 : faire des crochets pour, dit-il, semer la meute des poursuivants.


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