C’est l’information la plus sensationnelle de la semaine. Un plan de paix israélo-palestinien vient d’être rendu public, à Genève, par deux groupes de personnalités des deux bords. Il prévoit, ce plan, la reconnaissance par Israël du droit des Palestiniens à un Etat viable et la reconnaissance par les Palestiniens d’Israël comme patrie légitime du peuple juif. Il recommande l’évacuation par les uns des colonies et la renonciation par les autres au droit au retour. Il montre qu’il n’y a pas un point de crise ou de conflit qui ne soit justiciable d’une solution de compromis où chacune des parties aurait, comme dans un pari pascalien, plus à gagner qu’à perdre. Bref, c’est le premier plan de bon sens dont j’aie connaissance depuis trente ans – c’est le premier texte qui montre de manière irréfutable que la paix est possible, qu’elle est même à portée de main et qu’il suffirait, pour la faire, d’un peu d’imagination et de courage. Il n’a qu’un défaut, bien sûr, ce document, qui est de n’être signé ni par Arafat ni par Sharon. Mais il est l’œuvre d’un groupe de personnalités qui ne sont, pour autant, nullement marginales dans leurs sociétés civiles respectives : côté israélien, l’artisan des accords d’Oslo Yossi Beilin, les députés Amram Mitzna et Avraham Burg, Amos Oz, ainsi que l’ancien chef d’état-major de Tsahal, Amnon Lipkin-Shahak ; côté palestinien, les anciens ministres Nabil Kassis et Hisham Abdal-Raziq, deux chefs des Tanzim, l’ex-porte-parole de l’Autorité palestinienne Yasser Abed Rabbo. Bref, un plan crédible. Un plan sérieux. Un plan dont toutes les chancelleries, toutes les organisations juives, tous les intellectuels arabes modérés seraient bien inspirés de s’emparer. Pourquoi pas, à Paris, une Conférence internationale qui aurait pour ordre du jour l’examen, la discussion, l’amendement, de la feuille de route Beilin-Rabbo ?
Tombé, dans le livre que vient de publier Nicole Avril (Le regard de la grenouille, Plon), sur un portrait de François Mitterrand où je retrouve, en quelques pages, la clé de ce qui fut l’un des vrais mystères, à mes yeux, de la personnalité de l’ex-président. La scène se passe à Rambouillet. Le président vient de lire l’un de ses romans. Il l’invite à déjeuner. La presse de questions, comme il faisait souvent avec les écrivains, sur la part, dans son récit, de la réalité et de la fiction. Il lui demande ses clés. Exige ses secrets de fabrication. Il a perdu, dit-elle, son « regard carnivore » d’autrefois. Mais il y a dans sa façon de lui demander si telle anecdote est vraie ou non, si le père de la narratrice fut bien, dans la vie réelle, cet inventeur du verlan avant la lettre nommant « jibou », pour la dédramatiser, la maladie de son « bijou », il y a dans la gourmandise impérieuse avec laquelle il revient inlassablement sur son mystère à elle et dans sa façon de la convaincre qu’elle est, à cet instant, la plus impénétrable et passionnante des créatures, il y a dans cet art de pianoter sur le clavier des vanités une force de séduction plus vive que jamais. Mitterrand Casanova. Mitterrand Don Giovanni. Mitterrand en romancier des vivants donnant à chacun, et chacune, la certitude d’être un personnage de roman.
Il s’appelait Philippe Grumbach. C’était mon ami. Mais c’était, surtout, l’un de ces grands journalistes à l’ancienne qui ont imprimé à la presse française le meilleur de son style d’aujourd’hui. Il était drôle et courageux. Un jugement infaillible sur les grands événements politiques. Un tempérament d’homme libre. Une culture shakespearienne au service d’une curiosité sans faille devant les incohérences d’une époque qui, pour n’être plus tout à fait la sienne, le divertissait par sa vulgarité pittoresque. Avec ses costumes impeccables et ses manières presque anglaises, avec sa voix bien timbrée qui semblait vouloir mettre de la distance jusqu’entre les syllabes, avec son insolence et ses éclats, ses impatiences et ses outrances, il aura eu, jusqu’au bout, cette allure de grand seigneur méchant homme qui masquait mal une générosité sans limites. Au Figaro, dont il dirigea la rédaction, il se fâcha avec Robert Hersant. A L’Express, dont il fut longtemps l’âme, aux côtés de Françoise Giroud et de Jean-Jacques Servan-Schreiber, il ne tarda pas à se brouiller avec Jimmy Goldsmith. A la fin de sa vie, ce grand insomniaque qui s’est nourri jusqu’à la toute dernière extrémité de dépêches et de journaux, aimait dire, par facétie, qu’il ne présidait plus, depuis son lit de douleur, qu’un fantomatique BOUM (Bureau d’observation universelle des médias) qui restait pour Nicole Wisniak, sa femme, et pour quelques-uns de ses amis, une source inépuisable d’informations et de points de vue. Tel était Philippe qui, aux maîtres du jour, préféra toujours Churchill, son demi-dieu. Tel était cet intraitable qui passait pour mauvais coucheur alors qu’il était juste aussi exigeant envers les autres qu’envers lui-même. Il manquera longtemps à ceux qui eurent le privilège de le connaître. Et à un type de journalisme qui vient de perdre, avec lui, un peu de son panache.
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