Il ne m’appartient pas de « défendre » tel ou tel – et pas davantage Nicolas Sarkozy, dont je ne partage pas les choix politiques. Mais enfin ! Est-il bien sérieux de répéter, comme font les commentateurs depuis dimanche, que son duel contre Pasqua était celui de la « trahison » contre la « conviction » ? Faut-il que lesdits commentateurs aient perdu non seulement la tête, mais la mémoire, pour transformer en homme de « conscience » et héraut du « parler-vrai » (face, donc, à un président du RPR par intérim qui aurait incarné, lui, un cynisme-en-politique-dont-les-Français-ne-veulent-plus) le fondateur du SAC et des CDR, l’homme de tous les coups tordus et des réseaux douteux, l’exécuteur des œuvres chiraquiennes rallié à Balladur, puis le ministre balladurien conjuré avec Séguin, le politicien qui vote pour Maastricht au Sénat avant de voter contre le même Maastricht, un an plus tard, dans l’isoloir ? Et de qui se moque-t-on, enfin, quand on nous présente comme un « gaulliste », voire comme le « dernier grognard du Général », ce vieux bateleur sympathique, mais littéralement sans foi ni loi, qui vient, aujourd’hui encore, sous nos yeux, et par opportunisme pur, de faire liste commune avec le symbole même de l’antigaullisme militant – je veux parler de Philippe de Villiers ? Nicolas Sarkozy, face à ce monument de machiavélisme et de rouerie brouillonne, frapperait presque, à l’inverse, par la cohérence de son parcours et de son discours. Mais allez entendre cette évidence dans le climat de réprobation qui, désormais, l’entoure ! Sarkozy, le mal-aimé. Sarkozy, le Fabius de la droite de demain. Sous ma plume, c’est un compliment.
Comme elles sont étranges, les réactions de la gauche « plurielle » au score de Daniel Cohn-Bendit ! Jospin boude. Hollande ronchonne. Jean-Pierre Chevènement, jamais en reste d’une élégance dès qu’il s’agit de faire un bon mot sur le dos de son « partenaire », qualifie, en direct, depuis la place Beauvau, l’« effet Dany » d’» effet dioxine ». Bref, ce ne sont partout que commentaires pincés, agacés, parfois carrément navrés ou contrariés – quel dommage que l’« ami Robert » (entendre Robert Hue) n’ait pas mieux résisté ! on avait tout fait pour « sauver Robert » ! tout essayé pour « protéger Robert » ! et voilà ! c’est raté ! Robert par-ci, Robert par-là, et ce sacré foutu trublion qui lui est quand même passé devant ! Jusqu’à Dominique Voynet, patronne des Verts, que l’on attendait triomphante, euphorique, et qui apparaît, sur les plateaux de télévision, bizarrement sage, modeste, presque en retrait, l’air chagrin : un succès ? oh ! un succès… est-ce qu’on peut déjà parler de succès… attendons les municipales pour en être sûrs… ou les législatives… attendons, avant de réclamer de nouveaux ministères… je connais assez « Lionel » pour savoir qu’on va le braquer, qu’il n’est pas du genre à céder au chantage… Peut-être ai-je l’esprit mal tourné. Mais la vérité est que je sens comme un malaise autour du succès, et du style, de la seule tête de liste – avec peut-être François Bayrou – à avoir fait campagne non seulement pour l’Europe, mais sur le seul thème de l’Europe et de ses valeurs. Comme si sa victoire encombrait. Comme s’il demeurait en lui quelque chose d’indéfiniment sulfureux. Comme si, même respectabilisé par les urnes, il restait cet allié pas comme les autres, incontrôlable, irrécupérable. Dany l’Européen et, encore, ce réfractaire.
Le mystère, c’est, évidemment, Chirac. Car enfin, voilà un homme qui vient, en deux ans, de liquider sa propre majorité, de décourager un à un les meilleurs de ses rivaux et, donc, de ses compagnons – et de briser, maintenant, le parti qu’il a créé il y a vingt-trois ans et qui devait être le point d’appui de sa réélection en 2002. Les ressorts de cet homme ? Les raisons, secrètes ou non, de cette longue et raisonnée entreprise de démolition ? Savait-il, obscurément, que le RPR était condamné ? Avait-il intégré le fait qu’il lui faudrait, en tout état de cause, repartir, le jour venu, à la conquête des voix perdues de la « fracture sociale » ? Cet éternel candidat rêvait-il de faire place nette ? page blanche ? Entre-t-il dans la catégorie de ces chefs (Mitterrand…) qui n’en finissent pas de haïr, ou de mépriser, leurs partisans ? Est-il le champion du monde du tir contre son propre camp (dans les années 70, déjà, casser Chaban pour faire élire Giscard, puis Giscard pour faire passer Mitterrand…) ? Maurice Clavel, naguère, tonnait qu’il fallait « casser la gauche pour vaincre la droite » : a-t-il pensé, lui, symétriquement, qu’il fallait casser la droite pour, un jour, vaincre à nouveau la gauche ? Ou bien suis-je en train de rêver tout haut et de faire bien de l’honneur au recordman, plus banal, de la fausse manœuvre politique ? Énigme, oui, de cet homme. Bizarrerie de ce désastre – subi, voulu, on ne sait. Si je savais dessiner, je le représenterais campant dans un champ de ruines, entouré de quelques proches et conseillers, content, presque béat – avec, en légende : « Enfin seul ! »
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