Des heures de discussion, au Conseil de sécurité des Nations unies, pour savoir si l’on va « condamner » ou simplement « déplorer » la répression qui s’abat sur la Birmanie. Et, à l’arrivée, malgré les efforts de la France et des États-Unis, malgré la vague d’émotion planétaire provoquée par ce désastre huilé, malgré le choc provoqué, partout, par les images de ces bonzes aux pieds nus, visages en sang, fouettés, matraqués, assassinés dans des proportions que nul ne connaît vraiment, une simple « déclaration » qui, dans l’usage onusien, est le degré zéro de l’intervention et où, entre deux mots, on a naturellement choisi le moindre. Comme en Bosnie. Comme au Darfour. Comme chaque fois. Avec, comme chaque fois aussi, quelques-uns qui sauvent l’honneur et qui, comme le président de la commission des Affaires étrangères, Axel Poniatowski, ou comme Dominique Voynet, Marielle de Sarnez et Julien Dray, proposent de se rendre sur place et de témoigner.
Jean Daniel m’objecte (Nouvelobs.com du 10 octobre) qu’on trouve chez Hegel, Leiris et Balandier des propos sur l’Afrique du même tonneau que ceux que prononça Nicolas Sarkozy, à Dakar, et dont son conseiller, le désormais fameux Henri Guaino, vient de déclarer, sur le site Rue89, qu’il ne retire pas une ligne (manière d’avouer, pour qui pouvait en douter, qu’il en est effectivement l’auteur…). D’abord ce n’est pas exact, et je défie Daniel de trouver, dans l’œuvre de ceux qu’il cite, ces mots sur « l’homme africain » qui serait, en tant que tel, fermé à « l’aventure humaine » et au « progrès ». Ensuite, il n’est pas juste de mettre sur le même plan, pour ensuite les comparer, les réflexions d’un vrai savant et les déclarations d’un président à qui un ignorant a préparé un vague copier-coller qui, dans cette forme, était incontestablement raciste. Et puis enfin, tout de même ! La France est le pays du citoyen contre les pouvoirs (Alain). C’est un pays où il est de tradition que les écrivains interpellent, fût-ce vivement, le pouvoir en place (principe démocratique élémentaire). Que l’interpellé, Henri Guaino, de son bureau élyséen, réplique en invectivant l’écrivain et en le décrivant « bave aux lèvres », « suintant la haine » et « n’aimant pas la France », voilà qui, en revanche, me semble, de mémoire de républicain, proprement sans précédent.
Nicolas Sarkozy, à Moscou, se défend de vouloir « donner des leçons en matière de droits de l’homme » à son nouvel « ami » Vladimir Poutine. Dommage. Car il nous avait dit l’inverse pendant la campagne. Il nous avait expliqué – lui qui parle aujourd’hui de « spécificité russe » pour excuser les libertés que l’on prend, au Kremlin, avec la liberté et la démocratie – qu’il n’y a, en ces matières, pas de spécificités qui tiennent, pas de particularités locales derrière lesquelles on puisse s’abriter pour justifier des crimes d’État. Il nous avait promis – et c’est même sur cet engagement que nombre de mes amis avaient choisi de lui faire confiance et de le suivre – que la France serait intraitable sur cette question des droits de l’homme, de l’universalité démocratique et, notamment, de la Tchétchénie. Je sais que la politique a ses lois et que, comme disaient les surréalistes dans une apostrophe célèbre à l’ambassadeur Claudel, il lui arrive de dégager une mauvaise et entêtante odeur de gaz. Mais enfin… Un tel renversement ! Si vite !
Che Guevara est à la mode. Et il se trouve même un responsable politique, Olivier Besancenot, pour, entre tee-shirts à son effigie, caramels et restaurants franchisés « Le Che », sacs, stylos, gadgets divers et variés, lui consacrer, avec Michael Löwy, un essai hagiographique, Che Guevara, une braise qui brûle encore (Mille et une nuits). Le livre à lire sur le sujet n’est pourtant, à mon avis, pas celui-là. C’est celui de Jacobo Machover, La Face cachée du Che (Buchet- Chastel), où l’on apprend que cette grande figure romantique, ce guérillero aux allures de Robin des bois, ce martyr, était aussi un bourreau implacable, un Fouquier-Tinville tropical, un homme qui ne dédaignait pas de procéder lui-même aux interrogatoires sensibles, un admirateur de Staline, une brute. On croyait – je croyais – le temps des fascinations totalitaires à l’ancienne révolu. Peut-être pas, après tout. Peut-être le crépuscule des idoles n’est-il, au fond, jamais une histoire complètement terminée.
19 septembre 1959. Une jeune actrice qui n’est pas encore la femme de Romain Gary mais qui a déjà incarné la Jeanne d’Arc de Preminger et joué dans Bonjour tristesse de Françoise Sagan se retrouve, sur les Champs-Élysées, dans le premier film de Jean-Luc Godard. Dernière scène. Dernier plan. Dernier mot de Michel Poiccard, alias Jean- Paul Belmondo, que la jeune femme a trahi et qui, avant de mourir, lui lance : « T’es vraiment dégueulasse. » Et tout dernier mot de la jeune femme, magnifique de perversité et d’innocence : « qu’est-ce que c’est, dégueulasse ? » Eh bien, cette question posée, donc, par la Nouvelle Vague à ses débuts, une ministre atypique, Fadela Amara, vient d’y répondre à sa façon, à propos de l’affaire des tests ADN. C’est bien. On respire. Et ceux de nos lecteurs que le mot aurait choqués devraient aller plus souvent au cinéma.
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