L’événement de la campagne ? La percée, non pas, comme on dit, des « petits candidats », mais bien des deux extrêmes. Sur Le Pen, sur sa démagogie, sa vulgarité, l’insulte à l’esprit de la démocratie qu’est la moindre de ses apparitions, tout a été dit. Le problème, en revanche, c’est Laguiller. Comment 10 %, peut-être plus, des électeurs peuvent-ils s’apprêter à voter pour une organisation semi-clandestine, dont on ne connaît ni les dirigeants, ni les ressources, ni le programme ? Qui sont ces 10 % ? Est-il vrai (sondage CSA-Marianne, 4 mars 2002) que près de la moitié des électeurs du Front national se déclarent « proches » de leurs idées ? Est-ce un vote frivole ? Un pur effet de mode ? D’où vient que tant de démocrates, à droite autant qu’à gauche, du côté de Miss France autant que des bobos en mal de radicalité, aillent partout répétant « Arlette, je vote Arlette », car « voter Arlette » c’est « voter sympa » ? D’où vient que tant de prétendus non-conformistes tombent dans le panneau de la seule responsable politique, avec Le Pen, qui ait osé déclarer « Bush-Ben Laden, même combat » ? Pourquoi tant d’indulgence à l’endroit d’une candidate qui peut, lors de telle fête de Lutte ouvrière, accepter un stand où l’on vend « Auschwitz ou le grand alibi » (Le Monde du 19 mars) ou, en marge de tel meeting, tolérer la présence d’un ténor du négationnisme (Pierre Guillaume distribuant, le 17 mars, à l’entrée de la Mutualité, la dernière livraison de La Vieille Taupe) ? Pour ma part, je vote Jospin. Sans passion – mais je vote, dès le premier tour, Jospin. Et je n’ai, à dire vrai, qu’une crainte : le voir, tout au souci de la course aux « voix d’Arlette », être tenté de durcir le ton et de tourner ainsi le dos à ce « blairisme à la française » qui est, pour la gauche, la seule issue.

Je sais que l’ensemble de la presse en a parlé. Mais comment ne pas donner mon sentiment sur le livre que Michel Peyrard a rapporté de sa captivité en Afghanistan (Poste no 3, hôte des taliban, Pauvert) ? Je suis de ceux qui, à l’époque, ont milité pour sa libération. J’ai signé des pétitions. Enregistré des messages de soutien. J’ai fait cause commune tant avec la rédaction de Paris Match qu’avec Reporters sans frontières pour que soit reconnue sa qualité de journaliste, et les droits qui vont avec. Mais je n’imaginais pas que cet homme, qui était alors une « cause », puisse être aussi l’auteur d’un pareil livre. Tout y est. La vie rêvée des grands reporters. L’air de la guerre. Les ruses et déguisements auxquels nous avons tous recouru pour forcer les verrous de l’information. Les souvenirs de l’époque Massoud. L’arrestation. La prison. Les rêves d’évasion. L’effroi comique des geôliers quand leur prisonnier entame une grève de la faim. Leur volonté bizarre, en pleine guerre, de rappeler au monde qu’ils ont une vraie justice. Bref, le portrait, de première main, d’un groupe de talibans dont on ne sait, une fois le livre refermé, s’ils effraient par leur bêtise, leur folie, leur brutalité ubuesque, leur naïveté, leur dogmatisme sanguinaire, ou le mélange de tout cela. Et puis les toutes dernières pages qui évoquent la fuite de Ben Laden dans des termes dont on s’étonne qu’ils n’aient pas encore suscité réactions et polémique. J’ajoute que le livre est beau. Superbement écrit. Et – ce qui ne gâte rien – haletant, plein d’humour.

L’émission « 7 à 8 », dimanche soir, sur TF1. Le beau visage amaigri, défait, de Jean-Michel di Falco, évêque auxiliaire de Paris, qui vient de tomber dans le plus effroyable des traquenards. Que répondre, en effet, à un « intermittent du spectacle » qui vous accuse d’avoir eu, il y a trente ans, des relations pédophiliques avec lui ? Que faire quand le délateur reste anonyme, donc insaisissable, et ne fournit, à l’appui de son dire, pas l’ombre d’une preuve ? Que ressent-on quand un grand hebdomadaire, d’abord, puis l’essentiel de la presse s’emparent de ce qui est devenu une « affaire », jettent votre nom sur la place publique et vous offrent, à la fin, de « répondre » à un scandale que l’on a monté de toutes pièces ? « Le mal est fait », répète di Falco. « Mon nom est jeté en pâture, le mal est fait. » Et ce n’est ni la « prescription » des faits, ni la décomposition d’un dossier dont on savait, d’avance, qu’il serait « classé sans suite », ni la perspective d’engager un procès en « dénonciation calomnieuse » (qui, lorsqu’il sera gagné, occupera dix fois moins de place que les juteuses suspicions d’aujourd’hui) qui effaceront le sentiment d’opprobre, la colère impuissante, voire la sourde envie, certains soirs, en se couchant, de « ne pas se réveiller le lendemain matin ». Logique de la rumeur moderne et de ses armes absolues. Passage des « corbeaux » de la France rurale aux trompettes de la vertu spectaculaire et à leurs caisses de résonance. Intrigue et situation bernanosiennes dans une société démocratique, soumise à la dictature du soupçon, de l’émotion, et où le moindre racontar trouve un écho immense et peut déboucher sur un lynchage. Un seul espoir, mais je n’y crois guère : que la vitesse de propagation de la rumeur n’ait d’égale que celle de son évaporation et qu’un peu de zapping suffise là où, au Moyen Age, il eût fallu des siècles. Je ne puis, pour l’heure, que dire ma fraternelle amitié au prêtre jeté aux chiens.


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