Échec de Cancun. Agonie de l’OMC. S’en féliciter ? Non, bien sûr. On ne répétera jamais assez que l’OMC, malgré ses défauts, est l’une des rares instances où les pays les plus puissants consentent à autolimiter leur pouvoir. Dernière limite avant la loi de la jungle. Ultime parapet avant la plongée dans le rapport de forces nu. L’alter des altermondialistes, ce n’est pas la justice, c’est l’enfer.
L’un des chapitres les plus forts de la biographie de Castro par Serge Raffy (Fayard) : la disgrâce, la chute, puis l’exécution d’Arnaldo Ochoa, ce héros de la révolution dont le seul crime fut de pressentir avant tout le monde la folie du Lider Maximo. L’une des scènes les plus saisissantes du chapitre : l’auteur de Cent ans de solitude, Gabriel Garcia Marquez, assistant, derrière une glace sans tain, au côté de Fidel lui-même, aux grands moments de ce procès de Moscou tropical, puis, peut-être, à l’exécution – voyeurisme littéraire ? cynisme ? étrange figure du romancier allant, jusque dans la bouche du diable, prélever son épice et ses mots…
Conversation avec un ami suédois, désespéré par les résultats du référendum sur l’euro. L’argument le plus efficace, me dit-il, des partisans du non fut : quid de l’Europe à l’heure de Schröder et Raffarin ? pourquoi entrer dans un club dont les membres fondateurs sont les premiers à bafouer les règles ? comment désirer, simplement désirer, une construction politique que ses promoteurs eux-mêmes traitent comme un « machin » miné par sa propre bureaucratie ? Navrant mais imparable.
Deux ans déjà. Deux ans qu’a disparu, comme en prologue au 11 septembre, le légendaire Ahmad Shah Massoud, condottiere et guerrier de la paix, adversaire des talibans et incarnation de l’islam modéré. Un livre, aujourd’hui, lui rend hommage. Écrit par la porte-parole des amis de la résistance afghane en France, Hélène Surgers, ainsi que par Mehrabodin Masstan, l’homme qui fut, vingt ans durant, l’un des plus proches compagnons du commandant, ce livre est à la fois biographie, portrait croisé, bloc de mémoire vive, tombeau. A lire toutes affaires cessantes (Massoud au cœur, Le Rocher).
Tout le raisonnement de Raffarin tient, au fond, à la triple conviction : que la reprise américaine a commencé ; qu’elle ne pourra, des États-Unis, que gagner mécaniquement l’Europe ; que peu importent, donc, les déficits, les équilibres, les règles communautaires, quand toute l’astuce sera de se laisser, le moment venu, cueillir par la bonne vague. Naïveté de l’économisme, auraient dit mes maîtres d’autrefois. Effet pervers de l’optimisme dans sa version, non socialiste, mais libérale. Allez, allez donc, laissez faire et laissez aller, il n’en sortira que le meilleur : autre version du progressisme.
Conte philosophique ? Fable politique ? Polar ? Science-fiction ? Détournement ironique des rêveries raéliennes postmodernes ? Roman sur le fanatisme et ses carnages ? Le livre d’Anouar Benmalek, Ce jour viendra (Pauvert), est tout cela à la fois. Il nous parle, dans le même souffle, de l’Algérie des GIA et des effroyables perspectives offertes par la science du vivant. Et il y a dans ces cinq cents pages, il y a dans l’histoire de cet enfant témoin du meurtre de sa mère par un commando d’islamistes puis victime d’un accident qui lui détruit la moitié du cerveau, l’un des tons les plus étranges, les plus originaux de cette rentrée. Biophysique et métaphysique. Futurologie appliquée. La mort et son clone. Ce jour viendra – ou comment l’espèce humaine est en train de se détacher de l’humanité.
Ce n’est pas encore une thèse. Mais c’est une question que l’on entend de plus en plus souvent, non seulement dans les chancelleries, mais en Israël même. Et s’il fallait négocier avec le Hamas ? Et si l’erreur était, depuis le début, d’avoir exclu du champ de la discussion les organisations palestiniennes les plus extrémistes ? Et si, d’une façon générale, l’on sortait mieux des guerres en parlant avec les plus radicaux qu’avec les plus modérés ? Pourquoi, en d’autres termes, s’entendre avec Ferhat Abbas quand on sait que, tôt ou tard, on se trouvera en face de Boumediene ? L’argument, sous des dehors raisonnables, est terriblement spécieux et il pourrait, à terme, s’avérer tragique. J’y reviendrai.
Sur ce que fut, en vérité, la saga du gauchisme français dans sa version, notamment, maoïste, nous avions eu le Tigre en papier d’Olivier Rolin. Voici, un an plus tard, Enragé, de François Armanet qui a, entre autres mérites, celui d’illustrer mieux que jamais la double polarité de l’aventure : gravité et frivolité mêlées, la volonté de casser en deux l’Histoire du monde déclinée sur un mode qui, parfois, tient plus des Pieds Nickelés que des Possédés… A lire, à nouveau. A lire pour conjurer le double cliché – héroïsation, diabolisation… – qui encombre, ces jours-ci, notre représentation des années 68.
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