Il y avait quatre sujets tabous dans la société française contemporaine. C’était l’école et l’université, le statut des fonctionnaires, la Sécurité sociale, la réforme fiscale. Eh bien, ces quatre tabous, ces quatre bloquages historiques qui faisaient que la France, à certains égards, restait à la traîne de l’Allemagne, ces quatre chantiers béants, ouverts depuis des lustres et qu’il aurait pu aborder un à un, au fil des mois ou même des années, ces quatre sujets brûlants auxquels se sont effectivement brûlés tant de gouvernements avant lui et qui auraient largement suffi à occuper un entier septennat, voici que M. Juppé décide de les aborder ensemble, et de front. Face à ce calendrier étrange, face à cette façon un peu folle de nous dire « je ferai dans la fièvre, et en quelques semaines, ce que je pouvais faire dans la durée, en prenant mon temps », l’observateur a le choix entre plusieurs explications. Celle, flatteuse, d’un authentique tempérament réformateur qui lui ferait prendre à bras-le-corps les problèmes, précisément, les plus urgents. Celle, plus sombre, d’une sorte de desperado se lançant dans une opération suicide. Un goût, qui rendrait le personnage soudain presque sympathique, pour l’impopularité, le désaveu. Ou bien encore cette hypothèse qui, réflexion faite, résume les autres et ne semble pas la moins fondée : un Juppé déconsidéré, humilié par l’opinion, voué pendant des mois à des campagnes de dénigrement qu’il a probablement jugées indignes de lui et injustes – et qui, consciemment ou non, déciderait de prendre une revanche. « Ah, vous me haïssez ? Vous décidez de m’offenser ? L’affaire de l’appartement ? Les sondages accablants ? Cette vie de chien qui est la mienne depuis que je suis à Matignon ? Eh bien, voilà. Advienne que pourra. Je vous fais payer, au sens propre, le fait d’être mal aimé. »

« Je suis la scène vivante où passent divers acteurs, jouant diverses pièces. » C’est ainsi que se définit l’un des grands écrivains les plus énigmatiques de ce siècle : Fernando Pessoa. Poète sans biographie. Œuvre sans sujet ni auteur. Pages aux voix multiples, soufflées par un homme invisible qui passa l’essentiel de sa vie à effacer ses propres traces et n’eut de cesse que de disparaître derrière l’opacité de sa propre langue. Correspondances imaginaires. Jeux de masques et de leurres. Hétéronymie systématique. Légende vivante.

C’est tout cela que nous invite à découvrir Bernard Rapp, ce mercredi, sur France-Télévision, dans son excellente émission « Un siècle d’écrivains ». Pessoa, portugais ? Aventurier de Lisbonne ? Allons donc ! Pessoa ou la passion d’être plusieurs autres.

Je sais qu’il est toujours difficile de raisonner ainsi. Mais enfin, imaginons un seul instant l’actuel mouvement de grèves du point de vue des banlieues. Écoutons la colère des cheminots, ou des assurés sociaux, ou des syndicats de médecins, avec l’oreille de ces vraies zones noires, de ces territoires de non-droit et d’exclusion absolue, qui ceinturent les grandes villes françaises. Voyons, oui, essayons au moins de voir les cortèges étudiants de ces derniers jours, le malaise qu’ils trahissent, le sentiment – bien sûr justifié – d’être face à un horizon bouché, avec l’œil d’un de ces chômeurs de longue durée, ou de ces jeunes beurs tentés, dans les quartiers déshérités, par le nihilisme le plus extrême et le radicalisme meurtrier. Ceci, sans doute, n’explique pas cela. Et la comparaison, là comme ailleurs, ne prouve évidemment pas grand-chose. Mais enfin, comment ne pas songer que les problèmes les plus chauds de la société française contemporaine, ses injustices les plus criantes, ses détresses sans porte-voix et peut-être sans recours, ne sont pas où le dit la clameur du moment ? Comment ne pas voir que la ligne de fracture – peut-être faudra-t-il dire, un jour : la ligne de front ou de confrontation majeure – ne passe plus par le bon vieil axe historique Concorde-Bastille-République tel que le balisent, depuis un siècle, les syndicats traditionnels ? Un jour il y aura, en France, une nouvelle nuit du 4 Août. Et il y aura aussi, parmi les privilégiés de cette nuit-là, une fraction de ceux que représente, aujourd’hui, M. Blondel. Courage de Nicole Notat, secrétaire générale de la CFDT. Lucidité de ces intellectuels – Touraine, Julliard, Brauman, Ricœur, etc. – qui condamnent aujourd’hui, dans Le Monde, les « atermoiements » de la « gauche politique ». Et naissance d’un tiers état qui n’aura pas éternellement, soyons-en sûrs, le visage débonnaire des assurés sociaux en colère. Le cap change. L’époque bascule. Qui est disposé, vraiment, à penser l’époque qui vient ?

Venise… Les femmes… Cette légèreté, cette audace, qui sont le luxe des temps de catastrophe… Ce jeune homme qui séduit, du même coup, Voltaire et Diderot, comme lui, deux siècles plus tard, Aragon et Mauriac… Sollers aurait cherché son double dans le XVIIIe, il s’y serait, non seulement trouvé, mais inventé un contemporain idéal, un correspondant, un frère, qu’il n’aurait pas procédé autrement ni écrit un autre livre. Denon, personnage sollersien. Autoportrait de Sollers en Denon. On dit des romans réussis qu’ils font de leurs personnages chimériques des êtres quasi réels. Affirmons d’une belle biographie qu’elle traite son objet, en principe réel, comme s’il s’agissait d’une créature imaginaire. Le cavalier est une des œuvres les plus accomplies de l’auteur de Portrait du joueur.


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