Avoir l’air sincère, tout en jouant. Pénétré de soi, alors qu’on compose. Paraître authentique, surtout authentique, à l’instant même où l’on travaille à produire l’effet désiré. C’est l’attitude du comédien. C’est celle, plus que jamais, du politique. Avec, en prime, cet impératif qui va de soi pour le premier mais dont le second s’avise rarement : ce jeu du vrai et du semblant, de l’authenticité et de ses leurres, tout l’art est de faire en sorte qu’il ne se voie à aucun prix – contre- performance, l’autre soir, sur TF1 d’un Jacques Chirac appliqué à « parler vrai » alors que l’on croyait lire, comme en sous-titres, les prescriptions de son conseil en communication et stratégie. Diderot, voici deux siècles, écrivait le Paradoxe sur le comédien. Quel est le nouveau Diderot qui écrira le « Paradoxe sur le comédien politique » ?
Déjeuner, chez Alain Carignon, avec le président de « Reporters sans frontières », Robert Ménard, très préoccupé de la spirale de l’horreur qui n’en finit pas d’ensanglanter l’Algérie. Crimes des intégristes… Terreur – symétrique ? – de l’État-FLN… Ce mot de Nietzsche qui, tandis qu’il parle, me revient et qu’il faudrait pouvoir opposer à ceux qui ne veulent pas entendre que notre avenir se joue, aussi, de ce coté-là de la mer Méditerranée : les « bons Européens » sont des « Méditerranéens par naissance » qui « aiment le Sud dans le Nord et le Nord dans le Sud ». Sommes-nous ces « bons Européens » ? Aurons-nous la force, encore, de le devenir ? L’échéance est proche. L’urgence, chaque jour plus pressante.
Tapie en examen. Passons sur l’éventuelle « maladresse » des juges. La question, la vraie question, est de plus en plus celle-ci : Tapie est-il populaire malgré les affaires ou à cause d’elles ? en dépit de l’opprobre ou grâce à elle ? ce parfum de scandale, est-ce l’obstacle à une ascension qui, sans cela, serait irrésistible – ou est-ce, au contraire, son ressort et le signe d’une décomposition plus avancée, que ne le croient les plus pessimistes d’entre nous ? Étrange climat… Singulier désarroi…
Tout ce bruit autour de Joseph Beuys et de la rétrospective qui s’ouvre à Beaubourg. On croit toujours que le problème c’est son côté jeune Allemand, pilote, en 1943, de la Luftwaffe. Pas du tout ! Ou, du moins, pas seulement ! Car il y aura aussi le vieil écolo, obsédé de vitalisme, qui dira, au soir de sa vie, que « la nature est l’élément, la référence déterminante, de toute conception de la liberté ». Pour un artiste, le mot le plus sot. En esthétique, le point de vue qui tue. J’ajoute – et c’est l’essentiel – que je n’ai jamais admiré les « performances » du dernier de nos théosophes.
Une colère de Wole Soyinka, le grand écrivain nigérian, Prix Nobel de littérature, auquel je n’avais plus parlé depuis notre rencontre à Milan, il y a sept ou huit ans, avec Mario Vargas Llosa. Allez-vous, dit-il à peu près, recommencer, avec le Rwanda, vos erreurs d’analyse sur la Bosnie et, sous prétexte que ce sont des « Blacks », nous refaire le coup de la guerre tribale et de sa sauvagerie sans âge ? La vérité est que si les bourreaux sont bien « Hutus » et les victimes, en majorité, « Tutsis » – elles se retrouvent aussi, ces victimes, du côté des « Hutus modérés » et interdisent de réduire, donc, le massacre à je sais quel affrontement « inter-ethnique ». L’affaire, autrement dit, n’est pas tribale, mais politique. Encore, et toujours, politique. Et c’est l’analyse politique qui, sur le Rwanda, manque le plus.
Manque aussi, bien sûr, le courage. Pas celui, forcément, de s’engager au-delà de ce que nous faisons. Mais celui de dire les choses. Simplement, de les dire et de ne pas se résigner à nos tragiques ou honteuses équivoques. Ces lignes de Bernanos dans Le Chemin de la Croix-des-Âmes. Dieu sait si Bernanos n’est pas de mes auteurs favoris. Mais ce texte, écrit en juin 1941, vaut, mot pour mot, pour aujourd’hui. « L’immense erreur psychologique », dit-il, de ceux qui « dirigent » la France « n’est pas de l’avoir fait capituler », mais « d’avoir voulu, coûte que coûte, justifier la capitulation » – elle est d’avoir donné à cette capitulation « le caractère d’un acte moral, désintéressé, vertueux » et « d’avoir fait approuver cet acte par les professeurs de droit et les archevêques ». Toujours la même histoire : pire que le Mal, la justification, la transfiguration, la sanctification, la dénégation, du Mal.
Hommage – à propos de courage – au jeune Arno Klarsfeld, l’un des avocats qui eurent, l’hiver dernier, à plaider contre Touvier. Tous, on s’en souvient, s’en tinrent à la thèse de la « pression allemande » et de la « complicité avec l’occupant » – condition sine qua non, en droit, pour qu’il y ait crime contre l’humanité et que le crime soit imprescriptible. Seul lui, Klarsfeld, osa dire : « Tant pis si, en droit pur, j’affaiblis, ma position; mais, au droit, je préfère la justice – qui est, aussi, mémoire et vérité; or la vérité, dans cette affaire, c’est que nulle pression allemande, nulle intelligence avec l’ennemi, ne contraignirent le milicien à se conduire comme il le fit ; autonomie de Vichy ; souveraine liberté de ses acteurs ; avant d’être des « collabos », les fascistes français étaient fascistes et telle demeure, pour nous, la plus accablante de leurs leçons ». Cette paradoxale et forte plaidoirie, Fayard l’édite ces jours-ci. A lire, absolument, si l’on veut ne rien ignorer de ce que fut « l’idéologie française ».
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