Contrairement à ce que dit Emir Kusturica, dans le magazine Première, je ne l’ai jamais traité d’antisémite – et les fidèles du « Bloc-notes » le savent bien. Mais quand j’apprends, dans la même interview, que si j’étais (sic) « le seul Juif au monde », alors, « oui, il serait antisémite » et que pour « ces gens-là (re-sic) tous les moyens de vous tuer sont bons », alors, en effet, je me pose des questions. Pour l’heure, j’attends la sortie du film ; et l’occasion, comme je l’ai toujours dit, de juger enfin sur pièces.

Pas de centre. Pas de stratégie. Des revendications obscures, indéchiffrables ou carrément inexistantes. Aucun doute : la France a bel et bien affaire à une vague d’attentats de style nouveau ; et il suffirait, pour s’en convaincre, de voir le désarroi des policiers, commentateurs traditionnels, ministres, intellectuels, responsables de l’opposition, journalistes – tous sidérés par un phénomène insaisissable. La terreur comme une contagion. La violence comme un virus inconnu. Et si elle était là cette grande épidémie fin de siècle que guettait – en la redoutant – le millénariste qui sommeille en chacun ?

Le charme des « journaux », par rapport aux « Mémoires » et « autobiographies » composés : la part qu’ils font au futile, à l’accidentel, au contingent, toute cette part de nos vies qui ne mène à rien et ne sait pas, au juste, ce qu’elle fait. Rares sont ceux qui, même parmi les diaristes patentés, ont l’audace d’aller au bout du parti pris. Rares sont ceux qui acceptent cette déconstruction méthodique, cette fragmentation de soi par soi, cette fêlure, ce vertige. Parmi ces rares, Roland Jaccard qui, de livre en livre – cette fois, son Journal d’un homme perdu –, poursuit cette périlleuse aventure. Lisez-le : parce qu’il se raconte pour se perdre, parce qu’il ne déroule le fil de sa vie que dans le secret espoir de le défaire et parce qu’il semble vivre cette défection, cette perte, comme une ascèse discrète et modeste, il est peut-être en train de s’inscrire dans la meilleure tradition de son art.

« Prolétaires de tous les pays, pardonnez-moi. » C’est la blague qui circulait, à Prague, dans les derniers temps de la dictature. Ce pourrait être l’exergue du nouveau livre de Goytisolo, La longue vie des Marx, où l’on apprend que l’auteur du Capital n’est pas mort en 1883, mais continue, plus d’un siècle après, de hanter le monde qu’il a modelé et d’où on croyait l’avoir chassé. Puisque la rumeur tient tant à son fameux « retour à Marx », le voici – mais plus proche de Cervantès que de Maximilien Rubel et Derrida.

Le Verbatim III d’Attali. On peut aimer ou non. Mais on ne peut pas faire semblant de découvrir aujourd’hui – et cela vaut pour Mitterrand lui-même – le projet, la méthode, le style de l’entreprise. Hypocrisie des critiques. Tartufferie de ceux qui feignent de s’aviser soudain qu’il y avait là, dans l’ombre, un scribe auquel le Prince donnait mandat de tout noter et, bien entendu, de tout publier.

L’équivalent, en peinture, du journal intime : les soixante-quatre autoportraits de Rembrandt – ce journal d’un corps, d’un visage, d’une âme, dont on ne sait trop, là non plus, s’ils se font ou se défont.

L’Amérique a semé le « politically correct ». Elle récolte Farrakhan, ce leader noir raciste qui, au nom du même communautarisme, a réussi à faire défiler, l’autre mardi, des centaines de milliers de gens dans les rues de Washington. Le politically correct est « de gauche », Farrakhan est « de droite ». Mais qui ne voit qu’il s’agit, au fond, du même phénomène ? Qui ne voit que l’on entre là dans la zone où les signes politiques tournent, se brouillent, se confondent ?

Verbatim, encore. L’un des mérites du livre : nous livrer, par petites touches, un portrait composé de l’ancien président. Le mot qui s’impose, à la lecture de ce troisième tome ? Un grand homme à qui manquait on ne sait quoi pour atteindre sa vraie taille.

J’annonce que le chômage ne diminuera pas avant trois ans. J’annonce que le salaire des fonctionnaires ne sera pas réévalué. J’annonce la reprise des essais nucléaires. J’annonce la rencontre du président français et de son homologue algérien Zeroual. D’habitude, quand un gouvernement annonce ce qu’il va faire, c’est pour mieux séduire le monde ou ses électeurs. Ce gouvernement-ci fait le contraire et n’annonce, à grand fracas, que des nouvelles dont il sait qu’elles lui vaudront la réprobation immédiate de l’opinion. Usage masochiste de l’effet d’annonce ?

Un livre de François Léotard – Ma vérité – publié chez Plon. Cet homme est étrange. Plus il fait de politique, plus il dit la détester. Plus il brigue les responsabilités suprêmes, plus il semble y répugner. Et c’est au moment où il entre dans la phase décisive de sa carrière qu’il prend – à travers ce livre – le plus de distance avec sa tribu. Ruse ? Technique suprême de séduction ? Pas sûr. Car il y a quelque chose, dans l’aveu, qui sonne juste. Je les admire – et les plains – ces hommes qui vont à la conquête du pouvoir en disant qu’ils ne sont faits que pour écrire des romans d’amour, cultiver leur jardin, méditer.


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