Pourquoi tant de haine contre le pape ? demande Gérard Leclerc dans son dernier livre. Il a raison. Et, face à l’actuel déferlement de papophobie, on a envie de rappeler quelques évidences. La première : ce pape « réactionnaire » contre lequel prétendent se lever tant de hérauts de la liberté est l’un des hommes les plus libres de l’Europe contemporaine – celui auquel elle doit, cette Europe, un peu de sa liberté retrouvée. La deuxième : en prenant les positions que l’on sait sur la contraception, l’avortement et les mœurs, il est dans sa stricte fonction de pape – il ne demande à personne d’être catholique mais, à ceux qui font le choix de l’être et à eux seuls, il rappelle le sens de ce choix, les principes qui le guident et les conséquences qu’il implique. La troisième : qu’il y ait un lieu en ce monde ou, en tout cas, dans nos sociétés, où continue d’être dit que la condition humaine ne peut pas faire l’impasse sur la question du mal, du péché, de l’interdit, qu’il s’y trouve une poignée d’hommes et, parmi eux, un pape pour rappeler que l’espèce ne fera jamais complètement l’économie de sa part noire ou maudite, est peut-être difficile à entendre – ce n’en est pas moins une bonne nouvelle parce que c’est un gage de civilisation et un rempart contre la barbarie. Merci au pape d’exister. Merci, par-delà l’anecdote et les péripéties de l’« affaire Clovis », de jouer son rôle de pape.

On s’étonne que, à Sarajevo aussi, le nationalisme gagne du terrain. Mais que voulait-on au juste ? Que les Bosniaques continuent, seuls, de croire à la Bosnie ? Que cette Bosnie dont nous n’avons pas voulu et dont nous avons, pendant quatre ans, programmé, souhaité, exigé le dépeçage, ils soient les derniers à la désirer ? Voulait-on qu’ils soient admirables à notre place ? qu’ils aient le courage que nous n’avons pas eu ? Voulait-on qu’ils soient plus démocrates que les grandes nations démocratiques ? plus fidèles aux droits de l’homme que ne le sont leurs inventeurs ? Et lorsqu’ils ne le sont pas, lorsque, à leur tour, ils baissent la garde et, pris de lassitude, nous disent : « cette Bosnie que vous nous avez imposée, cette Bosnie coupée en trois et faite de trois États croupions, eh bien nous l’acceptons – la mort dans l’âme, mais nous l’acceptons », faut-il le leur reprocher ? faut-il y voir l’aveu que l’on attendait parce qu’il justifierait enfin, et rétrospectivement, nos démissions? et aura-t-on le culot d’accuser les malheureux d’être de « mauvais héros » qui, en tombant le masque, apparaîtraient soudain semblables à leurs adversaires d’hier et de demain ? Mauvaise foi. Ignominie de l’argumentation. On croit entendre ces bourgeois français du début du siècle qui, à la fin de l’affaire Dreyfus, quand revint de l’île du Diable l’innocent qu’ils avaient laissé condamner, trouvèrent qu’il n’était, tout à coup, pas assez conforme à l’image qu’ils s’en étaient formée : mauvais héros, lui aussi ; infidèle à son image idéale – « donnez-nous un autre innocent », clamaient ces beaux esprits sur le ton de ceux qui, presque un siècle après, veulent voir dans le résultat des élections de Bosnie la preuve que les victimes n’étaient pas non plus de « vraies victimes »…

À quoi servent les « critiques » ? et s’il y a des grandes œuvres, littéraires ou cinématographiques, qui se sont imposées sans la critique et contre elle ? À cette question d’un journaliste belge, une réponse qui, visiblement, le déçoit : non seulement je « crois » à la critique, mais je pense qu’elle est un paratexte qui fait corps avec le texte et, d’une certaine manière, l’achève. Comme si l’œuvre, sans elle, n’était pas tout à fait elle-même. Comme si elle restait incomplète, presque virtuelle, tant que la parole critique ne s’en est pas emparée. Objets inachevés qui n’ont point tout à fait leur âme tant qu’un authentique commentaire ne les oriente pas vers leur destin, les grands livres ne peuvent se passer de critiques.

Le Front national annonce une « révolution ». Cela ne surprendra que les naïfs ou les amnésiques – ceux qui ne savent plus que les fascismes ont toujours été, d’abord, des mouvements révolutionnaires.

Karl Zéro est-il de droite ? C’est la nouvelle question à la mode chez certains chroniqueurs télé. Avec, pour s’opposer à lui, la figure de Pierre Desproges en qui les mêmes, soit dit en passant, et lorsqu’il était vivant, voyaient le prototype de l’anarchiste de droite qu’ils disent aujourd’hui détester. Je connais un peu Karl Zéro. Et je crois, en vérité, qu’on lui fait là un bien mauvais procès. La vraie question : le type d’humour qu’il pratique – grinçant, parfois cruel, entre Jouvet et, justement, Desproges. L’autre vraie question : celle du statut d’un « journal » qui, mêlant info et intox, oscillant entre gag et enquête, fourguant de la connaissance à des gens qui, au fond, viennent d’abord là pour rire, assume une fonction qu’il faut bien, à la lettre, appeler pédagogique. Zéro, pédagogue ? Il y avait, dans son « Vrai journal » de la semaine dernière, une enquête sur les crimes pédophiles dont l’extrême brutalité, parfois la crudité, nous en disait soudain plus long que bien des indignations convenues.

Pour dire la vérité d’un temps : être à la fois dehors et dedans, au cœur et à la marge – le plus en retrait possible et le plus possible dans le siècle. Position de l’écrivain. Point de vue de la littérature. Et disqualification de ces deux erreurs symétriques : la mondanité à tous crins, l’œuvre dissoute dans le siècle ; le puritanisme frénétique, l’amour sans limite des médias.


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