Ainsi donc nous sommes toujours sans nouvelles de Khawar Mehdi Rizvi, le reporter pakistanais qui a servi d’interprète à Marc Epstein et Jean-Paul Guilloteau, les deux journalistes de L’Express récemment rentrés en France. Comme tous ceux qui ont travaillé à Islamabad, j’ai eu l’occasion de croiser Rizvi. C’est un esprit libre. Un vrai professionnel. C’est l’un de ces excellents journalistes, formés à l’anglo-saxonne, qui sont l’honneur du Pakistan. Et je sais que nous avions, à Arte, des projets avec lui qui, s’ils aboutissent, contribueront à resserrer les liens entre nos deux pays. Un comité de soutien vient de se former, à l’initiative de Reporters sans frontières. Puisse-t-il aider à la mobilisation de la communauté journalistique internationale autour de l’un des siens. Puissent les autorités françaises peser de tout leur poids pour obtenir la libération d’un homme dont la seule faute aura été de servir de « fixeur » à deux Français. Epstein et Guilloteau sont libres. Il est terriblement choquant que Rizvi ne le soit pas et paie, au fond, pour eux.

Retrouvé, dans le feu de la bataille contre l’amendement Accoyer, un texte ancien et peu connu de Michel Foucault sur Jacques Lacan qui offre l’explication la plus belle et, surtout, la plus juste de la fameuse « obscurité » de l’auteur des Ecrits. Pas de coquetterie, dit en substance Foucault. Pas d’hermétisme pour le plaisir de l’hermétisme. Non. Juste la volonté de provoquer une lecture qui ne soit pas simple « prise de conscience » d’un sens préexistant. Juste le désir, soigneusement calculé dans une stratégie générale d’intelligence et de construction de soi, que le lecteur se découvre lui-même, en lisant, comme véritable sujet de désir. Juste l’idée que le travail fait pour entrer dans un texte devrait toujours être, aussi, un « travail à réaliser sur soi-même ». Belle leçon de lecture. De l’histoire de la lecture entendue comme un chapitre de l’histoire de la littérature et des idées.

Après s’être écrié « Heil Israël ! » à la télévision, voici que Dieudonné déclare, sur une antenne radio, qu’il « se torche avec le drapeau israélien ». On hésite à réagir à de telles ignominies. On craint, en répondant, de leur donner une importance qu’elles ne devraient pas avoir. Mais il paraît que l’homme est populaire. Il paraît qu’il est même « drôle » et qu’il comptait, avant ce passage à l’acte, parmi nos comiques de talent. Colère, alors. Amertume. Malaise grandissant face à toute cette série de verrous en train de sauter un à un. Un jour, c’est une synagogue profanée. Un autre, c’est un élève juif tabassé. Ailleurs encore, dans les quartiers difficiles, ce sont des juifs moqués, insultés, menacés, parfois battus. Et maintenant, chez un habitué des tréteaux médiatiques, c’est cette poussée de haine sur fond d’imaginaire scatologique. Le cocktail est connu. Le mélange – antisémitisme plus scatologie – est un classique du genre. Sommes-nous assez nombreux à nous en indigner ? Savent-ils, ceux qui iront bientôt l’applaudir sur telle ou telle scène parisienne, que c’est avec des insanités de ce genre que l’on met le feu dans les esprits ?

Nouvelle réponse, pour l’hebdomadaire allemand Die Zeit, à la vieille question kantienne « qu’est- ce que les Lumières ? ». Partir de Lacan, justement, évoquant, dans sa parabole de Kant avec Sade, son « diamant de subversion ». Commencer par l’extrême bonne nouvelle que fut et demeure cette liberté de vouloir la liberté de l’autre, c’est-à-dire – Lacan, toujours – son « droit à la jouissance ». Revenir sur l’urgence, plus vive que jamais à l’heure, par exemple, du débat sur le foulard, de ce commandement intimé à chaque sujet de penser par soi-même, sans limites ni tuteurs, en sortant de sa propre minorité. N’empêche. Naïveté, aussi, des Lumières. Ombre de ces Lumières dont Milner a bien montré comment, en posant qu’il existe une « modernité politico-juridique » dont le prestige incontesté suffirait à donner congé à toute forme religieuse différenciée, elles ont aussi leurs « penchants criminels ». C’est toute la question posée, naguère, par l’École de Francfort, puis par Georges Canguilhem. C’est toute l’aventure de ces critiques rationnelles de la rationalité dont le propos était de montrer que les formes dominantes de rationalité ne sont que l’un des visages possibles du travail de la raison. De même, oui, pour les Lumières. De même pour cette critique kantienne des Lumières – ce tri, à partir de Kant, dans la parole même de Kant : peut-être, mine de rien, l’une de nos tâches les plus urgentes.

Les défilés, donc, de ce week-end en faveur du foulard ? Ces étranges protestations républicaines de femmes et, surtout, d’hommes qui n’ont que faire, en réalité, des principes de la République ? Eh bien, Kant, justement. Cette réflexion kantienne sur le kantisme. Et, aussi, deux livres excellents où devraient se plonger, d’urgence, les ignorants qui croient que l’islam prescrit vraiment le port du voile, la haine de la sexualité et du corps, le mépris des femmes, l’antisémitisme : Le sexe d’Allah, de Martine Gozlan (Grasset), et La maladie de l’islam, d’Abdelwahab Meddeb (Seuil).


Autres contenus sur ces thèmes