Fasciné, comme chacun, par l’incroyable courage des gendarmes du GIGN montant à l’assaut de l’Airbus d’Air France. Ce qui captive dans cette image ? Le fait que c’est, au fond, l’image exactement inverse de celle qu’a popularisée la symbolique militaire de ces dernières années. On rêvait de « guerres sans morts ». On ne parlait que de « non-batailles » et d’affrontements « électroniques ». On finissait, petit à petit, par ne plus concevoir nos armées que comme des « armées de la paix », constituées de soldats qui devaient, si possible, ne servir à rien. Or voici de vrais soldats. Voici quelques dizaines d’hommes qui prennent le risque réel d’affronter des ennemis ô combien réels. Et à cet instant-là, au moment très précis où l’on voit le premier gendarme arc-bouté sur la porte de l’appareil alors qu’il sait que, derrière, se tiennent quatre terroristes qui vont, à coup sûr, ouvrir le feu, c’est toutes nos illusions qui, sur ce point, vacillent. Fin du « virtuel ». Faillite de la logique des « leurres ». La violence tout à coup – la vraie : sur fond d’apocalypse suspendue, de terreur et, bien sûr, d’héroïsme.

Sacrée Catherine Clément ! Je l’ai connue philosophe, militant au parti communiste, puis dans les rangs du féminisme. Je l’ai vue passer au roman et, comme elle fait rarement les choses à moitié, mettre son point d’honneur à écrire de vraies fictions populaires avec tout ce que le genre pouvait avoir de déroutant – de suspect ? – aux yeux d’une intellectuelle. Or c’est toujours elle qui, soudain, et comme pour revenir à ses premières amours, consacre un livre, chez Julliard, au cas de Philippe Sollers. « Revenir » est-il le mot qui convient ? Et revient-on, d’ailleurs, jamais sur ses propres pas d’écrivain ? Non, bien entendu. Et c’est ce qui fait le prix de ce drôle de texte – anecdotique et intelligent, bourré de portraits autant que d’analyses. Sollers, en personnage de roman. Clément, en romancière transcendantale. Et, entre le peintre et son modèle, un jeu que leurs itinéraires respectifs rendent évidemment très passionnant. « Vous êtes le diable », dit-elle d’entrée de jeu. Le diable étant, au sens propre, celui qui sépare, divise, coupe en deux – devinez où ce petit livre portera le ferment, heureux, fécond, de la coupure…

« Qui après Delors ? », me demandent les journalistes du « Forum » de Radio J ? Ma réponse : il y a deux hommes qui, à gauche, devraient, en bonne logique, pouvoir relever le défi. Sauf qu’ils en sont, l’un comme l’autre, empêchés pour des raisons parfaitement absurdes : le premier, Laurent Fabius, à cause de cette affaire du sang dont chacun sait qu’il est innocent ; le second, Michel Rocard, du fait de son piètre score aux dernières européennes alors que nul n’ignore, là non plus, qu’il le doit moins à une défaillance personnelle qu’à un missile nommé Tapie. Deux bons candidats, donc. Deux anciens Premiers ministres dont nul ne niera qu’ils connaissent, à tout le moins, le métier. Et nouvelle preuve, s’il en était besoin, de l’irrationalité grandissante de notre vie publique. Rocard candidat ? L’idée affole le landernau. C’est, pourtant, l’évidence même. C’est la seule hypothèse qui, surtout, promette une dispute démocratique. Imaginez un second tour où nous n’aurions le choix qu’entre messieurs Balladur et Chirac (ou Barre) : pour des millions de Français, la propre image – et les germes – du désespoir…

La Lenteur de Kundera. D’autres diront, sans doute, les mérites intrinsèques du roman (et peut-être y reviendrai-je, moi-même, une autre fois). Un mot, pour le moment, sur cette figure de Vivant Denon qui, d’une certaine façon, le traverse. Le premier à m’avoir parlé de Denon, et de son admirable Point de lendemain, fut, je crois, Roger Stéphane. Puis, plus tard, Jeanne Moreau, héroïne de la libre adaptation qu’en avait proposée Louis Malle. Puis Jean-Paul Enthoven donnant à la Règle du Jeu, que nous fondions alors, un brillantissime portrait de l’écrivain-diplomate-voyageur-amateur d’art. Puis encore Philippe Sollers qui travaille, depuis quelque temps, à une biographie. J’aime le hasard de ces rencontres autour d’un écrivain-culte. J’aime que ces quelques visages – qui, à des titres divers, m’importent – se retrouvent, comme en secret, à demi-mot, autour d’une même dévotion. Que Milan Kundera surgisse dans la confrérie, qu’il vienne ainsi nous dire que lui aussi « en » est, ne m’étonne qu’à demi et m’enchante. Heureux, pour cette raison déjà, d’avoir lu, aussitôt, La Lenteur.

Dernier bloc-notes de l’année. Ne pas terminer sans dire un mot d’un ami qui aura vécu ces « fêtes » loin des siens, dans une solitude que j’imagine insoutenable. Il s’appelle Alain Carignon. Il est toujours en prison. Et puisque l’émoi des débuts semble céder la place à une indifférence terrible, presque à l’oubli, on me permettra de poser à nouveau, comme au premier jour, deux ou trois questions très simples : les griefs faits à l’ancien ministre, ne pourrait-on les adresser à bien d’autres ? connaît-on beaucoup d’hommes publics qui, dans le vide juridique de ces années, aient su faire de la politique dans la transparence la plus totale ? et comment se défendre alors du pénible sentiment de voir un présumé fautif, et un seul, payer pour tous les autres ? Oui, cent fois oui, à la lutte contre la corruption. Non, dans l’intérêt même de cette lutte, à la désignation d’un trop commode bouc émissaire. J’ignore, comme la plupart, le fond de l’affaire Carignon. Mais rien ne justifie, j’en suis sûr, un tel acharnement.


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