Il y a un cas Bourdieu dans le paysage intellectuel français. On connaissait le super-mandarin parlant au nom de la basse intelligentsia. On avait le pur produit de l’élite dénonçant, chez Cavada, la « misère du monde » avec l’abbé Pierre. Voici, désormais, la star des médias théorisant son allergie (conceptuelle) à la télévision. Il faudra bien qu’un jour Bourdieu se décide : Alceste ou Tartuffe.

La Bibliothèque François-Mitterrand située à quelques mètres du camp d’Austerlitz, cette annexe de Drancy où fut installé, à partir de novembre 1943, un centre de triage. Trop beau – et trop triste – pour être vrai. Et pourtant… Je pense à un texte de Chaunu expliquant que la France est le pays du monde où l’on compte, depuis longtemps, la plus forte proportion de morts par rapport aux vivants. Je pense aussi, surtout, à l’idéologie française, ses fantômes, ses revenants. La pire « ruse » du moment.

Séparation des juges et de l’État ? Bien sûr. L’intention est bonne. Mais l’idée, fort périlleuse. Premier péril : le corporatisme d’une justice, privée d’extériorité et d’ancrage, forcément close sur elle-même, qui ne tirerait plus que de soi le principe de sa cohérence. Second péril, connexe : l’illégitimité d’un système qui, rompant avec l’État et, donc, avec le souci politique, romprait, qu’on le veuille ou non, avec le vieil idéal citoyen. Le problème n’est pas l’indépendance de la justice – c’est la démocratie. L’urgence, la vraie, n’est pas de « libérer » les juges – elle est de les soumettre à un État de droit refondé.

Même chose avec le « secret de l’instruction ». Sur le papier, tout le monde est pour. Encore que… Voyez le cas de l’Irlande tel que nous le révèle la bien étrange enquête sur le meurtre de Sophie Toscan du Plantier. C’est, avec la Grande-Bretagne, le lieu de l’habeas corpus absolu. C’est le pays où l’usage comme les principes imposent que rien ne filtre d’une enquête criminelle de cette espèce. Résultat : si rien ne s’imprime dans les vrais journaux, si aucun suspect ne voit son nom cité dans l’équivalent local du Monde ou du Figaro, le système se rattrape avec cette spécialité anglo-saxonne que sont les tabloïds. L’équation est implacable. La fausse presse chasse la vraie. Quand les journalistes se taisent, ce sont les échotiers qui jactent. Respect du secret de l’instruction égale triomphe de la presse de caniveau et de son sensationnalisme nauséabond.

Un mot à propos de la presse à sensation, sur le dernier livre – et le sort – de Patrick Poivre d’Arvor. Sur la machination dont il fut l’objet l’été dernier, en Grèce, de la part d’un « paparazzi », il a visiblement raison. Sur le danger que ferait peser l’arrivée massive, en France, d’une presse de type tabloïd, on ne peut également que le suivre. D’où vient, alors, qu’il ait tant de peine à se faire entendre ? d’où vient la petite rumeur qui tente, de-ci de-là, de disqualifier son témoignage : « mauvais avocat… victime suspecte… cet acharnement dont vous vous dites la cible, n’en êtes-vous pas complice ? responsable même ? n’avez-vous rien fait, vraiment, pour mériter le sort, etc. ? » Piètre parade. Mauvais procès. Qu’il y ait, dans ce livre, des outrances ou des amalgames, c’est la loi du genre. Mais, pour l’essentiel, il vise juste. Et il le fait, de surcroît, non sans courage.

S’il n’y avait qu’un spectacle à voir, cette semaine, ce serait l’adaptation par Simone Benmussa, à la Comédie des Champs-Élysées, du Peintre et ses modèles, de Henry James. Vieille fable. Éternel paradoxe du vrai, du faux, du réel et de leur représentation. « Libérez-vous de la chose esthétique », dit James. « Le faux seul est aimable. » C’est la leçon de Baudelaire. C’est celle de Valéry. C’est le cœur même de la grande obsession littéraire. Et c’est, en l’occurrence, de l’excellent théâtre.

Le cinéma n’est ni au-dessus de la vie (Hitchcock), ni au-dessous (Rossellini) – il est de plain-pied avec elle, taillé dans la même étoffe, la relayant quand elle défaille, reprenant la parole quand elle bredouille. « Ne coupez pas », dit le grand cinéma – celui qui, en réalité, prolonge l’existence, lui fait écho, la joue autrement. Aujourd’hui ? Le très beau Brigands, chapitre VII, d’Otar Iosseliani.

Le Pen était déjà l’ami de Saddam Hussein. Il soutenait le FIS et le GIA dans leur sanglante lutte pour la défense d’une pureté identitaire en Algérie. Le voici maintenant – mais est-ce bien nouveau ? – reçu en grande pompe par Vojislav Seselj, l’extrémiste serbe classé par les Américains, fin 1992, sur la liste des criminels de guerre en Croatie et en Bosnie. Étrange maçonnerie, décidément. Singulière internationale où, par-delà les dissentiments de surface, quelques secrets de famille, des mots de passe, une stratégie, rassemblent. Que les niais s’en étonnent, qu’ils ne perçoivent là qu’une dispersion d’obscurantismes obéissant, chacun, à sa loi propre, amusera sûrement les membres de la secte : ils savent, eux, la dévotion profonde qui les regroupe.


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