Il existe, à Londres, une « Bourse des gaz à effet de serre » où les pays riches négocient, avec les pays les plus pauvres, des droits de polluer. Le suicide, dernière ressource de la pauvreté ? Dans l’ordre collectif comme dans celui des individus, la mise en jeu de sa propre survie comme ultime moyen d’exister ?

Les films porno sont généralement laids. Dégradants. Ils ne le sont pas, par parenthèse, et comme on le répète partout, pour la seule « image de la femme », mais pour les hommes et les femmes, la sexualité en général, le désir. Reste, une fois qu’on a dit cela, l’évidence. C’est en les censurant qu’on les renforce. Le résultat d’une interdiction serait la multiplication des réseaux parallèles et l’aggravation, donc, du mal que l’on prétend guérir. Il ne manque qu’une chose à la lucrative industrie du porno : la palme du martyre, la dignité propre aux « œuvres » étouffées, une croisade pour la liberté d’expression dont elle serait le prétexte et l’aiguillon – faut-il tomber dans le piège ? lui faire cet inestimable cadeau ?

Je maintiens que l’Irak est un leurre. Je maintiens qu’en faisant la guerre à l’Irak l’Amérique se tromperait de cible.

La plus grande ruse du diable est de faire croire qu’il n’existe pas ? Eh bien, tester l’hypothèse inverse : la plus grande ruse de Dieu serait de donner à croire qu’il existe. (Baudelaire, bien sûr : ne pas confondre être et exister ; Dieu n’existe pas, il est.)

Un ami qui feint de se demander s’il doit, ou non, accepter une décoration. Je lui cite Erik Satie répondant un jour à Ravel qui se posait la même question : « l’important n’est pas de la refuser ; c’est de ne pas l’avoir méritée. » Puis : « vous refusez la Légion d’honneur ; mais votre œuvre, elle, l’a déjà acceptée. »

Prenez l’exemple de ce livre médiocre – Rose bonbon – qui n’avait aucune espèce de raison de défrayer la chronique littéraire, mais qu’une menace de censure a hissé au rang d’événement. Rose bonbon et L’enfant bleu… Provocateurs mécanisés et ligues de vertu pavlovisées… Voilà la sainte alliance du moment. Voilà le double visage, le double nom interchangeable, de la niaiserie sexuelle contemporaine. Rose bonbon aurait pu s’intituler L’enfant bleu. Et L’enfant bleu pourrait s’appeler Rose bonbon.

Disputes entre socialistes sur fond de repentance, de ressentiment, d’autisme. Qui est le plus coupable, à leurs yeux ? La gauche de s’être coupée du réel ? Ou le réel de s’être coupé de la gauche ?

Karl Kraus : « quand le soleil de la culture est bas sur l’horizon, même les nains projettent de grandes ombres. »

Centenaire de Zola. Lit-on, tant que cela, Zola ? Et qui, surtout, peut croire que c’est en le commémorant, en l’encensant, en le sacrant grand écrivain devant l’Éternel, que l’on nous convaincra d’y revenir ? Ah ! cette manie de noyer les œuvres dans le tonnerre bénisseur des anniversaires ! Cette façon, quand un écrivain n’est pas assez mort, de l’ensevelir sous un torrent de gloses et d’éloges bondieusards !

Faire entendre la voix de la France… Faire qu’elle émette, cette voix, sur une fréquence distincte, qui ne soit pas toujours celle de l’Amérique… Et résister, ce faisant, aux sirènes de l’antiaméricanisme – veiller, autrement dit, à ce que ladite voix vienne, non en dissonance, mais en contrepoint de celle de nos alliés… Telle est la ligne Chirac-Villepin dans l’affaire irakienne – et c’est très bien. Une nuance, peut-être – mais le diable est dans les nuances : cette francophonie qui, à Beyrouth, semblait parfois comme un aimant, un attracteur nouveau, pour les antiaméricanismes dont, en principe, on ne veut plus.

Ces écrivains que l’on n’a plus besoin de lire puisqu’ils sont des grands écrivains. On les applaudit si fort : comment les entendrait-on ? On communie dans l’adoration : pourquoi prendrait-on la peine de les aimer ? C’est l’histoire de Goethe, le grand écrivain officiel que nul, depuis un siècle, ne lit plus. C’est celle de ce haute-contre qui avait la réputation, à Saint-Pétersbourg, dans les années 20, de pousser la note la plus haute du registre et qui, le jour de ses adieux, lorsqu’il ouvrit la bouche pour émettre sa fameuse note, fut si bruyamment acclamé que nul ne sut jamais s’il l’avait donnée.

Le temps où les terroristes étaient les « meurtriers délicats » d’Albert Camus. Risquaient-ils d’atteindre des civils ? Apprenaient-ils, comme Kaliayev, qu’il y avait des enfants dans la calèche du grand-duc Serge ? C’était assez pour tout arrêter. C’était la limite de la terreur et de ses machines infernales.

Beyrouth, oui. Sommet de la francophonie. Un journaliste français, Gédéon Kuts, se voit, parce qu’il écrit dans le magazine juif L’Arche, cloué au pilori d’une pétition signée par soixante de ses collègues et exigeant son expulsion. La chose fait-elle scandale ? Les délégués se lèvent-ils, comme un seul homme, pour crier à l’antisémitisme ? Se solidarisent-ils avec la victime ? Exigent-ils, pour le principe, sa présence dans l’enceinte des débats ? Non. C’est le contraire. Et c’est à lui, le journaliste, que l’on s’en prend puisqu’il passe le reste du sommet assigné à résidence dans son hôtel. L’histoire, rapportée par la presse de ce lundi, est à peine croyable. Elle vaudrait, si elle se confirmait, le « one jew one bullet » de Durban, l’an dernier. On espère, on attend, un démenti.


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