Je n’ai pas dit que le Front national était le seul ennemi de la droite libérale : j’ai dit qu’il était le seul à vouloir, non lui nuire, mais la détruire. Avec les autres – socialistes, communistes… –, elle est engagée dans une lutte dont l’enjeu est le pouvoir. Avec lui, Le Pen, changement de registre et de nature : c’est d’une lutte à mort qu’il s’agit – qu’elle sous-estime les enjeux du combat, qu’elle tarde à se déterminer ou fasse le moindre faux pas et elle sera, non battue, mais broyée (comme le furent, soixante ans avant elle, les droites italienne, française et allemande).

Nouveau symptôme de la destruction des élites dont je parlais la semaine dernière et qui est, décidément, l’une des tendances lourdes du moment : le cas de Nicole Notat, femme de gauche et syndicaliste courageuse, que l’on a vue, jeudi dernier, dans la manifestation des employés du secteur public, conspuée, bousculée, presque malmenée – sans qu’un seul de ses homologues songe, ni sur le moment ni plus tard, à lui dire sa solidarité. Notat, victime expiatoire ? Notat, ou l’éthique de responsabilité sacrifiée sur l’autel de la démagogie.

Autre lynchage médiatique qui n’a, apparemment, rien à voir (encore que…) : celui de Marianne et Pierre Nahon, ces deux marchands de tableaux piégés par un cinéaste et, sans doute, par leur propre naïveté – mais dont l’infortune, au lieu de provoquer, chez leurs confrères, un élémentaire réflexe de solidarité, ne semble susciter, là aussi, que procès d’intention, insinuations plus ou moins douteuses, propos haineux. Est-il vrai que le comité d’organisation de la FIAC songerait même à les exclure « pour faute professionnelle grave » ? On voit mal ce qu’est, en art, une « faute professionnelle grave ». Mais une chose est certaine : la démarche, si elle aboutissait, serait sans précédent ; en s’alignant sur n’importe quel syndicat de bouchers ou ordre des médecins, ledit comité verserait dans le corporatisme le plus imbécile ; en donnant à penser que des galéristes qui – en bien ou en mal, peu importe – n’ont parlé que d’eux-mêmes et l’ont fait en leur seul nom portent « préjudice » au marché tout entier, elle ouvrirait la porte aux dérives les plus redoutables et, d’abord, à la transformation du milieu de l’art en milieu tout court. Les Nahon sont de grands marchands. Ils aident, promeuvent, soutiennent, « éditent » de grands artistes. Oublier tout cela pour, comme je l’entends ici ou là, « régler leur compte » aux « brebis galeuses » et les transformer, ce faisant, en « boucs émissaires » d’on ne sait quelle culpabilité obscure et, comme toujours, imaginaire, ce serait, pour le coup, le type même du geste mafieux.

Oui, bien sûr, le combat contre le Front national est affaire, non de droit, mais de politique. Mais faut-il, pour autant, s’interdire tout recours à la loi ? et faut-il, quand cette loi (qui, de toute façon, existe) paraît périmée ou inadaptée, s’interdire de la réformer ? Sur ce point, Jacques Toubon a évidemment raison. Et pour tous ceux qui, comme moi, répètent depuis dix ans que les idées du Front national ne sont pas des idées comme les autres, il est difficile, aujourd’hui, de s’opposer au projet. La lutte contre Le Pen est notre priorité à tous. Gare à ne pas y mêler arrière-pensées politiciennes et mauvaise foi !

Chirac bien reçu à Damas – et mal à Tel-Aviv : est-ce un bon signe ?

Brigitte Bardot, prix Léautaud. Affaire de littérature ? Non. Affaire de chats. Ou, peut-être, de misanthropie. Comme si les prix devaient aller, non à des livres, mais à des tempéraments.

Ségolène Royal à la télévision. Degré zéro de la pensée. La politique réduite à ses bons sentiments et ses poncifs. On songe à Maurice Clavel : « pour battre la droite, il faut d’abord casser la gauche ». Avec qui ? Quel ténor, quelle figure réellement charismatique, pour traverser la vallée de larmes ? Je songe à Jack Lang, entrevu, le même soir, sur une chaîne câblée et dont je m’avise soudain que la parole est devenue étrangement rare – l’une des dernières paroles, pourtant, à demeurer en phase avec l’époque sans avoir rien perdu de sa pugnacité. Lang a, paraît-il, nombre d’ennemis dans son propre camp. Après l’échec de Kouchner et la demi-retraite de Rocard, face aux contreperformances de Jospin et au silence persistant de Fabius, les « ennemis » en question ont-ils vraiment le choix ?

L’incident de Jérusalem. Bonne opération pour Chirac qui se fait, à peu de frais, une belle réputation de courage. Bonne opération pour le provocateur Netanyahou qui affiche, une fois de plus, l’épaisse et fausse intransigeance qui lui tient lieu de politique. Le seul perdant, dans l’affaire, aura été l’obscur policier à qui le président français demande, au plus fort de la bousculade, s’il veut le voir « rentrer dans son pays » et dont on imagine le visage faisant instantanément le tour du monde et devenant aussi célèbre que celui du fameux Chinois face au tank de la place Tiananmen (le quart d’heure de gloire warholien, mais aux dimensions de la planète !) si, au lieu de rester bouche bée, il avait eu le réflexe, par exemple, de répondre « oui ».

Baudelaire détestait à la fois les Belges et les enfants. Qu’aurait-il dit de la manifestation de dimanche ? Je l’imagine, sur son balcon de l’hôtel du Grand Miroir, voyant passer les trois cent mille pénitents blancs venus dire leur nostalgie de la pureté perdue. Cher Baudelaire. Pauvre Belgique.


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