Liste ou pas liste ? C’est sur cette question que je terminais mon « bloc-notes » de la semaine dernière. Aujourd’hui – jeudi – la question est toujours là. Même si j’ai, depuis, quelques éléments de réponse. Baudis s’est prononcé pour le principe de l’intégrité territoriale bosniaque, pour le retour des réfugiés dans leurs foyers et pour la mise en fonctionnement d’un tribunal international qui devrait, en bonne logique, disqualifier deux ou trois des personnages avec lesquels les « médiateurs » occidentaux « négociaient » jusqu’à présent. Rocard réitère son attachement à la cause bosniaque et, devant la faillite, désormais patente, du système de sécurité collective et de l’ONU, accepte la mort dans l’âme, mais accepte, la levée de l’embargo sur les armes à destination de Sarajevo. Les familles politiques se divisent. Le président de la République se découvre. L’ancien président Giscard d’Estaing et le Premier ministre s’interrogent, et nous le font savoir. La vérité est que cette campagne électorale ressemblait, à s’y méprendre, à un premier tour de présidentielles. Eh bien la voilà qui, grâce à la liste, devient vraiment européenne – c’est-à-dire, inévitablement, bosniaque. Je n’en attendais, pour ma part, rien de plus.

Je ne voudrais pas trop insister – ni avoir l’air de pavoiser. D’autant que cette liste Sarajevo que la presse s’obstine à présenter comme une « liste BHL », je n’en fus, au mieux, que le premier porte-parole – l’idée initiale revenant, si je ne m’abuse, à des « collectifs contre la purification ethnique » qui l’avaient eux-mêmes reprise à Bernard Kouchner, avant de la confier à Pascal Bruckner, Michel Feher, Romain Goupil, Gilles Hertzog et quelques autres. Mais enfin, quelle victoire ! La Bosnie était, il y a huit jours, le thème dont nul ne parlait. Des élections allaient avoir lieu où il n’en serait pas question. Des partis devaient s’affronter avec, pour quasi programme commun, cet assourdissant silence. Aujourd’hui, c’est le contraire. Aucune liste, aucun candidat, ne pourront plus la contourner. Nul ne pourra se présenter aux électeurs s’il n’a sa doctrine sur la question. La Bosnie y gagne, évidemment. Mais aussi la démocratie, et la clarté de ses débats.

« Jusqu’auboutistes » et « modérés », disent-ils au sujet de notre petit groupe. Quelle drôle d’idée, là encore ! Et, surtout, quelle leçon ! Car c’est faux, bien entendu. Les supposés « jusqu’auboutistes » – Glucksmann et Goupil pour ne pas les nommer – tenant au contraire, dans nos réunions, des propos au moins aussi raisonnables que les prétendus « modérés » que nous serions, Rondeau, Hertzog et moi. Mais voilà. C’est ainsi. Et même si la chose est sans fondement, même si je n’ai jamais été si proche de Glucksmann, par exemple, que depuis le début de cette affaire, c’est bel et bien l’image que nous renvoient les commentateurs : déjà une sorte de Parti – avec tendances, courants, sous-courants, lignes plus ou moins dures, affrontements, fractions. Attention, danger ! Si c’est à cela que les choses tournent, si c’est dans ce moule qu’on nous enjoint de nous couler – alors, oui, il vaut mieux arrêter.

Izetbegovic à Paris. Le hasard fait qu’il vient de la Mecque. Quoi ! la Mecque ? Vous dites, vraiment, la Mecque ? Votre musulman libéral, moderne, ouvert, etc., a le culot d’aller à la Mecque – et, comble d’insolence, de ne pas hésiter à le faire savoir ? Trouble autour de moi. Malaise à l’aéroport, chez quelques-uns des journalistes. Et comme un aveu, tout à coup, de ce que l’on reproche aussi à cet homme… A une radio qui m’interroge, je dis – et cela tombe sous le sens : l’idée d’un musulman rentrant d’un pèlerinage aux lieux saints n’est pas, en soi, plus choquante que celle d’un Premier ministre français qui va, le dimanche, à la messe. Dans un cas comme dans l’autre, affaire de conscience. Dans un cas comme dans l’autre, rien qui soit de nature à entamer la laïcité de l’Etat.

Jean-Pierre Chevènement. La politique de la France, dit-il à peu près, est chose beaucoup trop sérieuse pour être confiée à B.-H.L. Il a sans doute raison. Mais que dire d’un homme qui était ministre de la Défense à la veille de la guerre du Golfe et préféra quitter son poste qu’avoir à la conduire ? Tout se tient, quand on y pense. Comme d’habitude, tout se tient. Saddamisme, hier. Philoserbisme, aujourd’hui. Le tout sur fond de refus de Maastricht. Et, un peu plus en amont, plus loin dans le fond du décor, un maurrassisme très ancien que le « réancrage à gauche » n’a jamais effacé. Les hommes ont la mémoire courte. Mais l’histoire a la mémoire longue. Et l’histoire des idées, notamment, n’oublie – il faut le savoir – jamais rien. L’honneur, en tout cas, de cette liste : avoir su faire l’union sacrée de de Villiers, Le Pen, Chevènement et quelques autres. La note d’amertume – ou de tristesse : des amis, que je ne veux pas nommer, mais qui m’attaquent, ce matin, sur un ton dont je ne les imaginais pas capables. Réconcilié avec les uns. Séparé, désormais, des autres. C’est le lot, j’imagine, de ce type d’événements – énormes, bouleversants, attracteurs de passion, de sens et, encore, de mémoire.


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