D’un écrivain qui ne se montre pas, qu’est-ce qui nous manque le plus : le corps, le visage – ou la voix ?

Fin du règne de « l’argent fou ». C’est bien. Mais le puritanisme d’aujourd’hui, la diabolisation de l’argent et de ceux qui en font métier n’en sont-ils pas l’envers ? Autre folie.

L’écrivain qui choisit d’être de son temps, de vivre avec son temps : c’est aussi, qu’il le veuille ou non, celui qui consent à se tromper. Égaré comme l’époque. Égaré avec son époque.

Jean Baudrillard dans Krisis, la revue d’Alain de Benoist et de l’extrême droite intellectuelle. On croit rêver. Encore que…

« Une conversation est une bataille », dit Stendhal dans la préface à ses Chroniques italiennes. Les meilleurs, à la télévision, s’en souviennent. Les autres ? Paroles de vent. Paroles pour rien. É changes sans vraies paroles.

Les conservateurs israéliens : « la sécurité est notre souci ; ce que nous faisons – implantations, construction d’un nouveau quartier à Jérusalem-Est – nous le faisons pour la sécurité d’Israël et de son peuple ». Faux, bien entendu. Grossièrement faux. Leur répondre : « votre souci n’est pas la paix, mais l’idée ; ce n’est pas la sécurité, mais l’idéologie ; c’est par idéologie, pour l’idéologie, parce que l’idéologie (celle, en l’occurrence, du Grand Israël) est votre préoccupation première que vous vous conduisez comme vous le faites ».

Du doyen Zamansky, ce grand mathématicien récemment disparu et qui fut à sa façon – discrète – l’un des maîtres de notre génération, cette formule étrange : ce n’est pas le faux qui est un moment du vrai, mais le vrai qui est un moment du faux. Fin mot de la science moderne. Dernier mot de la guerre des idées.

Un homme politique qui se résoudrait à n’être ni haï ni aimé.

Salman Rushdie, chez Poivre d’Arvor. Les mollahs avaient trois objectifs en lançant la fatwah. Étouffer Les versets sataniques : ils y ont échoué puisque Les versets sont disponibles, aujourd’hui, dans le monde entier. Tuer l’écrivain en lui : ils n’y sont pas parvenus puisque le « condamné » n’a pas cessé, depuis, d’écrire – cette semaine encore, le très beau recueil de nouvelles que publie Plon, son nouvel éditeur. Imposer l’image, enfin, d’un islam dur, terroriste, intégriste : là, en revanche, ils ont réussi – et c’est la responsabilité de tous de lutter contre cet islamisme, visage moderne de la barbarie.

Un jeune cinéaste – par ailleurs très impliqué dans les manifestations contre le Front national – explique que Heidegger était un « fasciste » et que le lire est donc « suspect ». Que réclame-t-il, au fond ? Le droit de ne pas lire. Celui de ne pas savoir. Une démocratie conçue non plus comme accès aux livres, mais comme prime à l’ignorance.

Jacques Derrida, dans son dernier livre (Adieu, éditions Galilée), rappelle le commandement biblique d’« aimer l’étranger ». Dieu est amour ? Bien sûr. Mais également : Dieu est accueil… Dieu est asile… Les crimes contre l’hospitalité sont, aussi, des crimes contre Dieu…

Exposition franco-flamande au Grand Palais. Ainsi donc la Belgique serait autre chose que le pays de l’affaire Dutroux et de l’horreur économique ? Tiens donc ! David et Rodin. Baudelaire et Hugo. Temps admirable où Bruxelles était aussi la seconde patrie des artistes français exilés.

Procès de Jésus. La pièce manquante, la déposition qui, à l’évidence, éclairerait tout : l’évangile selon saint Judas.

Jerzy Grotowski, nouveau professeur au Collège de France. Depuis la chaire improvisée des Bouffes du Nord où il choisit, contre tout usage, de prononcer sa leçon inaugurale, cette formule – citée de mémoire : « la théorie est une boîte à outils ; quand l’outil n’aide plus, il faut laisser tomber l’outil ».

Andy Warhol au cinéma, sous les traits de l’acteur David Bowie. Désolant. Caricatural. De l’artiste génial, il ne reste qu’une perruque grotesque, des dandinements d’idiot, quelques onomatopées en guise de « fusées » – un mondain lamentable, sans style ni talent. Qu’a voulu l’auteur, Julian Schnabel ? Règlement de comptes ? Inconscience ? Ou bien contribution discrète à ce que l’air du temps véhicule de pire dans son rapport à l’art moderne ?

Israël encore. On dit : il faut « revenir à la paix », il faut « restaurer la paix ». Illusion des diplomates. À quoi s’oppose le principe kantien (deuxième section de Vers la paix perpétuelle) : « l’état de paix des hommes vivant les uns à côté des autres n’est pas un état de nature – celui-ci est bien plutôt un état de guerre ». Manière de dire que cet état de paix n’advient qu’à condition d’être voulu, imposé, institué.

Ce mot très beau mais terrible qui se répète, d’après Le Monde, entre Oran et Alger : « la mort rôde comme un chameau aveugle ». On voit le chameau. On imagine sa course folle, ses ruades. Une mort qui n’a plus de sens. Plus de cibles. Une mort qui n’aura bientôt plus d’auteurs identifiables ni assignables. Âge nouveau de la mort.


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