Barbara était juive. Je l’ignorais. Je le découvre, ce matin, dans la presse. Je la vois du coup, pour la première fois, en petite fille traquée, dix ans en 1940, statut des Juifs, étoile jaune, mort aux trousses, police française. Et, soudain, tout s’éclaire : voix cassée, lyrisme triste, désespoir à fleur de peau, chanter comme on se souvient, défi à l’absence, catastrophe suspendue – l’impossible deuil, chez l’éternelle dame en noir, de la petite Monique Serf qui, « de valise en valise et d’hôtel en hôtel »…

La toute-puissance des juges est-elle un phénomène si nouveau qu’on le dit ? La révolte des « Parlements » à la veille de 1789. Et, avant cela, la Fronde.

Les enfants, rois d’un jour à l’Assemblée nationale – avec adoption, tout ce qu’il y a de plus sérieux, d’une loi qu’ils inspirent, discutent et finissent par voter sous l’œil émerveillé des « vrais » députés. On songe à ce qu’auraient pensé d’une telle initiative un Freud ou un Baudelaire. On se souvient de « l’injure sans pardon faite à l’enfance » dans les Chants de Maldoror. On se dit : une société qui en est là, un monde qui croit devoir placer dans « l’enfance » la source de la légitimité est un monde sénile, gâteux et condamné.

Élection de Miss Monde : beauté déjà embaumée : une femme si jeune, si belle – et déjà comme une nature morte.

Ces écrivains qui mettent plus de soin à rater un livre qu’à le réussir ; Toute une histoire, le nouveau roman – décevant – de Günter Grass.

Un « honneur », vraiment, la présence de ministres communistes dans le gouvernement de la République ? Pourquoi diable parler d’« honneur » là où il aurait suffi de dire – et on aurait, il me semble, beaucoup mieux compris – pari politique, nécessité électorale, pure arithmétique parlementaire ?

La vraie question posée par le débat sur la nationalité : si l’on a confiance, ou non, en la France et en sa culture immémoriale. Confiants, les partisans d’un droit du sol qui revient à dire : un enfant né, grandi, éduqué dans ce pays sera automatiquement, presque naturellement, français. Méfiants, étrangement pessimistes sur la force d’intégration de leurs propres valeurs, les partisans du fameux « acte volontaire » d’adhésion à la fin de l’adolescence : comme si d’avoir existé dans ce pays, d’en avoir quotidiennement vécu le génie, d’avoir appris à lire et écrire dans La Fontaine, La Bruyère ou Alexandre Dumas ne suffisait plus à faire un Français…

Du nouveau livre – très beau – de Nathalie Sarraute on dit, ici ou là, que « les vrais héros ce sont les mots ». En effet. Mais des mots qui ne sont pas les amis du livre, mais ses ennemis – des mots que tout le travail littéraire consiste à briser, fracturer, contrarier, bref, libérer. Thomas Bernhard : « les mots allemands sont suspendus comme des poids de plomb à la langue allemande »…

« Gladiateur agonisant » : cette définition nietzschéenne du pape – que l’on dirait écrite tout exprès pour Jean-Paul II.

Roussel calculait qu’il avait travaillé quinze heures sur chaque vers des Nouvelles impressions d’Afrique. Marguerite Duras, dans un portrait que diffuse ces jours-ci la télévision italienne, raconte qu’elle a écrit L’amant au « fil de la plume ». Qui ment ? Et où est la littérature ?

Et si le vrai problème, dans le film de Jean-Jacques Annaud, n’était pas le héros mais le sujet ? si c’était moins le personnage que le Tibet lui-même ? Trois expéditions officielles vers Lhassa en 1938 et 1939. Obsession – chez les artistes, les écrivains, mais aussi Hitler lui-même – de ce fameux « toit du monde » où la race « aryenne » était censée trouver son origine. Nostalgie de la pureté, en un mot, bien plus dangereuse que la décision – qui, en soi, ne me choque guère – de faire d’un ancien nazi le protagoniste de l’aventure…

Un ami égyptien : les touristes sont partis, mais les caméras du monde entier sont arrivées. Comme si elles attendaient le prochain attentat, comme si elles l’éclairaient et le cadraient par avance – comme si elles préparaient leur prochain « direct » anticipé…

Le dissident chinois Wei Jingsheng sort de prison et ce qui frappe aussitôt, dans ses toutes premières déclarations, c’est la force, la précision, l’acuité extrême de sa pensée. Comme Mandela en son temps. Comme Vaclav Havel. Comme tous ces dissidents soviétiques des années 70 qui, en une phrase (le fameux « échangeons Brejnev contre Pinochet » de Boukovski), savaient résumer l’époque. Hommes de fer. Intelligences, non seulement indomptées, mais chauffées à blanc par l’enfermement. Il y a des hommes que la prison détruit. Il y en a d’autres qu’elle aguerrit et, au fond, grandit.

Mon ami égyptien, encore. Qu’attendent-ils ? Le propre d’un événement est de n’être précédé d’aucun signe. Comme dit saint Paul : « le jour du Seigneur viendra comme un voleur dans la nuit ».


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