Un certain monsieur Péricard m’insulte, paraît-il, dans un journal spécialisé dans les media. Et ce qu’il insulte à travers moi c’est la chaîne de télévision – Arte – dont je préside le Conseil de surveillance et dont il s’est fait une spécialité, chaque année, à la même saison, de remettre en cause la légitimité et, croit-il, l’existence. Comme c’est étrange ! Et absurde ! Et comme il serait intelligent au contraire, et utile, de venir nous dire en face – mais clairement, dans le détail – ce qu’il nous reproche vraiment ! Au lieu de quoi cette aigreur, ces petites bouffées de ressentiment – et ces relents d’une haine qui ressemble à la pire haine de la culture.

Flaubert. Lettre à Louise Colet, à propos de Madame Bovary. « Rien dans ce livre n’est tiré de moi. Jamais ma personnalité ne m’aura été si inutile » Et, un peu plus loin : « Tout, dans ce livre, est de tête » – façon de dire qu’il est le lieu de l’invention, de l’artifice, les plus extrêmes. Songé à ce texte (et à tant d’autres, de la même encre) en écoutant, à la radio, quelques-uns des favoris de la course aux prix d’automne se donner un mal de chien pour convaincre l’auditeur que leur livre est ceci et cela, qu’il a telles ou telles qualités – mais qu’il a aussi le mérite, bien plus essentiel encore et devenu, à les entendre, argument littéraire suprême, d’être entièrement vécu, autobiographique, authentique. Misère de la littérature. Littérature de la misère.

Un socialiste – on taira, par charité, son nom – venu exposer à la télévision la position de son parti pour la prochaine présidentielle. « Nous soutiendrons Delors », explique-t-il d’un air d’importance et de componction qui fait sourire le journaliste. « Mais attention », ajoute-t-il, le doigt menaçant ! « Oui, attention ! Il faudra que lui, Delors, commence par se mettre à l’écoute – il ne dit pas au service, mais c’est tout comme – de monsieur Emmanuelli, de ses idées et de son programme. » Devant tant d’arrogance – et d’énergie dans l’arrogance – on songe au cycliste d’Alfred Jarry qui continuait de pédaler alors qu’il était, depuis longtemps, mort d’épuisement. Et on pense, surtout, à Delors lui-même qui ne devrait pas avoir, me semble- t-il, de tâche plus urgente que de marquer la distance entre ses « alliés » et lui.

Colloque sur l’audiovisuel. Le type de piège où l’on ne se pardonne pas de s’être fourré et d’où l’on ne se tire, en général, qu’en essayant de provoquer un peu. Le sujet du jour est le zapping et je cite le passage de Moby Dick où Melville observe qu’avec ses deux yeux minuscules, exagérément écartés et séparés par une énorme protubérance crânienne, la baleine est le seul animal à avoir, au même instant, deux représentations distinctes du monde. Voilà, dis-je. Tout est là. Deux écrans, en quelque sorte. Deux mondes, deux imaginaires, deux histoires, simultanément vécus. Et, entre les uns et les autres, entre ces deux espaces de perception, ni coïncidence ni recouvrement possibles… C’est la définition même du zapping. Et c’est sa première apparition, en somme, dans l’histoire de nos mentalités.

Contre-attaque des Bosniaques. Victoires militaires sur les Serbes. Et cette image d’un peuple de victimes qui a visiblement appris, non seulement à résister, mais à rendre coup pour coup et, peut-être, à triompher. Faut-il dire, comme font certains – notamment, bien sûr, au Quai d’Orsay : « Malheur ! la guerre repart ! ils sont en train, ces maudits Bosniaques, de nous ficher par terre notre plan de paix ! » ? Pardon, si je les blesse. Mais c’est, mutatis mutandis, le raisonnement de ceux qui, en 1940, trouvaient que les gaullistes embêtaient le monde avec leur drôle d’idée de faire reculer les Allemands, de recouvrer tout ou partie du territoire national envahi et peut-être même, tant qu’à faire, d’enrayer la machine infernale du nazisme. Eux aussi ajoutaient la guerre à la guerre. Eux non plus ne voulaient pas la paix à tout prix.

Richard Avedon au travail. Il y a des photographes dont on sent qu’ils ne multiplient les clichés que pour « assurer » la prise et être bien certains que, dans le lot, il se trouvera bien la bonne image. Lui fonctionne plutôt comme ces peintres qui reprennent inlassablement le geste, accumulent esquisses et croquis – mais parce qu’ils savent que c’est ainsi, à force d’entêtement et, au fond, d’approximation, que finira par s’imposer l’évidence de la beauté. Ou encore comme ces très grands cinéastes dont j’ai toujours pensé que s’ils filmaient plusieurs fois la même scène ce n’était pas pour se rassurer, ou pour « doubler » la prise, mais pour approcher, eux aussi, de la scène incontestable. Avedon, ou la photographie comme art majeur.

Jean-Pierre Chevènement à Bagdad venant chercher de la bouche de Saddam Hussein des félicitations pour sa conduite au moment de la guerre du Golfe. Stupeur. Dégoût. Pitié, aussi, pour le jeune homme que j’ai connu, il y a plus de vingt ans, au sein d’un « groupe des experts » qui se réunissait, le mercredi matin, autour de François Mitterrand et où il incarnait, quoi que l’on en pensât, une belle et ardente exigence. Et puis les questions, plus redoutables, qui ne peuvent pas ne pas traverser l’esprit quand on songe que c’est ce personnage qui avait la charge de nos armées au moment où elles allaient s’engager dans la guerre contre l’Irak. Responsabilité des hommes. Irresponsabilité des pouvoirs. Comment conciliait-il ses devoirs de ministre – et l’attachement que l’on découvre pour ce massacreur qui, en principe, était tout de même son ennemi ?


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