Élection européenne. Passion triste. Ennui. Langueur extrême. Stendhal, dans De l’amour, rappelle que langueur, en latin, signifie aussi fiasco. En sommes-nous là ?

Sur la parole des enfants, sur la confiance aveugle et presque religieuse qu’il faudrait lui prêter, sur son accord natif et définitif avec le beau, le bien et, surtout, le vrai, que ne s’est-on souvenu de Baudelaire ! et de Freud ! L’enfant pervers polymorphe… La proximité de l’enfance au péché originel, donc au péché tout court, au mensonge, au mal…

Où étions-nous demain ? Ou en serons-nous hier ?

Dans le recueil d’» enquêtes surréalistes » réédité, ces jours-ci, par Jean-Michel Place, la réponse de Jean Giraudoux à la question fameuse, mais qui trouve là, en 1919, sa toute première occurrence, « pourquoi écrivez-vous ? » : j’écris, dit l’auteur de La guerre de Troie n’aura pas lieu, parce que « je ne suis ni suisse ni juif ». Pourquoi suisse ? Pourquoi les coiffeurs ?

D’un grand penseur anticolonialiste – Franz Fanon, pour le nommer – cette réfutation de la tradition philosophique qui va de Descartes à Hegel : entre l’âme et le corps le même rapport, arbitraire donc, qu’entre signifié et signifiant. Saussurisme politique. Formule d’un antiracisme conséquent – mais risqué.

Dans le Troie de Wolfgang Petersen, tout est là, tous les épisodes canoniques du grand récit d’origine – sauf un : l’entrée dans le ballet guerrier de Penthésilée et de ses Amazones. Concession au politiquement correct ?

Terribles, ces hommes dont on dit communément qu’ils n’ont jamais été jeunes, qu’ils sont en quelque sorte nés vieux (Hegel selon Dilthey : « der alte Mann », « le vieil homme »). Mais aussi terrible, la situation inverse : ces amnésiques heureux, ces ignorants satisfaits, ces gens (jeunes et moins jeunes jeunistes du début du XXIe siècle) dont on a envie de dire qu’ils n’ont nulle intention de vieillir et n’ont, eux, jamais été vieux.

Malheur aux hommes oublieux, infidèles au secret qu’ils ignorent – malheur à celui qui, parmi nous, vient à ne plus savoir ce qu’il cache.

Soixantième anniversaire du débarquement américain. Je me souviens, il y a dix ans, du cinquantième anniversaire : chiffre rond, demi-siècle – l’événement, en principe, aurait dû être encore plus considérable ; or, non ; le contraire ; tellement moins fêté, célébré, commémoré, que celui-ci. Alors ? Progrès du devoir de mémoire, finalement ? Heureuse et grandissante piété ? Ou juste l’envie d’opposer la bonne à la mauvaise Amérique ?

Dans la même réédition des enquêtes surréalistes, « le suicide est-il une solution ? », cette réponse de Tzara : « on vit ; on meurt ; quelle est la part de la volonté en tout cela ? »

Une future reine qui a déjà été mariée. Nos amis espagnols ont-ils conscience de l’incongruité de la situation ? de sa profonde nouveauté ? Première mondiale depuis les temps bibliques. Triomphe de l’idéal démocratique.

Que l’on soit pour ou contre cette affaire de mariage des homosexuels n’a finalement pas tant d’importance qu’on nous le dit : a-t-on à être « contre » le carnaval ? « pour » la mascarade ? Plus intéressant, en revanche, le fait que les gays « mamérisés » risquent de devenir, à ce train, les derniers à croire encore à cette chose presque passée qu’est l’institution même du mariage. Toujours la même histoire. Toujours la même aventure du rebelle couronné, du mutin de Panurge rentré dans le rang. Les léninistes ont sauvé l’Etat bourgeois. Les libertaires, le libéralisme. Les ex-maos, une certaine idée de l’élite. Eh bien voilà. Le mariage sauvé par les gays. A l’heure où l’on se marie si souvent sans y croire ou, comme dit Beigbeder, pour trois ans, un shoot de croyance, un revival de la foi.

L’Europe chrétienne ? L’étroite relation, comme dit le cardinal Martino, président du Conseil épiscopal, entre l’Église et le continent ? Soit. Mais chacun sait en même temps l’immense part juive dans, par exemple, la culture allemande et centre-européenne. Chacun sait que, sans la médiation de l’islam, il n’y aurait pas eu de Renaissance et, donc, pas de réveil européen. Chacun sait combien l’histoire savante, intellectuelle et, tout simplement, populaire de l’Europe fut aussi faite de la lutte des hommes contre le dogme, le préjugé, le principe d’autorité et, par conséquent, tous les clergés. Serais-je, moi, l’athée, moins européen que le chrétien ? Non. Et c’est pourquoi je suis contre l’inscription de cette référence dans notre future Constitution.


Autres contenus sur ces thèmes