La canonisation d’Edith Stein. Le pape étant ce qu’il est, c’est-à-dire le chef d’une Église où l’on estime, à tort ou à raison mais par principe, que le christianisme est « l’accomplissement » du judaïsme, il semble assez naturel : 1. qu’il ne puisse célébrer une juive que convertie à la nouvelle alliance (qu’aurions-nous dit, s’il avait béatifié Anne Frank ?). 2. qu’il ait le sentiment, ce faisant, de commémorer à sa façon l’horreur inouïe de l’événement (ne prend-il pas soin de la présenter lui-même, cette convertie, comme martyrisée en tant que Juive ?). On peut récuser, bien entendu, son autorité de pape. On peut ne pas croire, comme lui, à cet accomplissement chrétien du judaïsme. On ne peut pas lui dénier le droit d’être et ce pape, et ce chrétien – on ne peut pas lui reprocher de porter le deuil d’un désastre dont il appartient à chacun de se souvenir selon sa langue, ses dogmes, sa foi, son calendrier. Jean-Paul II ne « récupère » pas la Shoah. Il ne la « christianise » pas. Il fait juste son devoir qui est, comme lors de sa visite à la synagogue de Rome, d’honorer les « racines juives » de la « foi chrétienne ». Un « Jour de la Shoah », à la date de la mort d’Edith Stein ? Mais oui. Bien sûr. C’est la réponse, cinquante ans après, aux « silences » de Pie XII.

Du jamais vu, il me semble, dans l’histoire de la presse. Le pouvoir algérien censure deux journaux (Le Matin, El Watan). Et voici les autres (El Khabar, Le Soir d’Algérie, Le Quotidien d’Oran, La Tribune) qui, au lieu de paraître coûte que coûte, s’affirment solidaires et font grève. Leçon de radicalité démocratique. Exemple de montée aux extrêmes dans la guerre du droit contre l’inhumain. Et, comme toujours avec ces hommes qui n’en finissent décidément pas de nous stupéfier par leur courage en même temps que par leur intelligence politique, la question : saurons-nous, en France, nous hisser à la hauteur de l’exemple ? aurons-nous l’imagination nécessaire pour répondre au geste d’une presse qui, pour mieux confondre ses censeurs, se suspend elle-même et se tait ? et pourquoi ne pas tenter, alors, de lui donner spirituellement et matériellement asile – pourquoi ne pas lui offrir, ici, le temps de ce bras de fer, un peu d’espace dans nos propres journaux ? Une éclaircie dans sa nuit. Et, pour les amis de l’Algérie, une belle façon de prendre parti.

Mario Vargas Llosa et Revel ont raison : il est plus facile d’inculper Pinochet que Fidel Castro – et l’on aimerait voir les défenseurs des droits de l’homme poursuivre tel ou tel dictateur en activité avec la même énergie que ce tortionnaire à la retraite. Mais de là, comme viennent de le faire les juges anglais, à étendre à l’un la navrante impunité des autres, de là à dire « puisque l’on n’arrête ni Castro, ni Hafez el-Assad, ni Milosevic, fichons la paix à Pinochet », il y a un pas que je n’ai, moi, pas envie de franchir. Pardonner à Pinochet ? On ne peut pardonner qu’à quelqu’un qui le demande. Or, non contents de ne rien demander, les responsables de la terreur au Chill en rajoutent : « n’avons-nous pas sauvé le pays de la banqueroute ? épongé sa dette et restauré ses “fondamentaux” ? n’avons-nous pas, en échange des milliers de corps suppliciés, déchiquetés, disparus, livré une économie en ordre de bataille ? ». Rien qu’à cause de cela, rien que pour cette façon de brouiller les repères de la conscience morale de ce temps, Pinochet mérite d’être jugé. Trop facile, le pardon. Trop paresseux et trop facile. Et quant à Castro justement, on peut imaginer son soulagement lorsqu’il a su que son vieux « frère ennemi » allait peut-être mourir dans son lit : « ouf ! le boulet est passé… il n’est pas passé loin, mais il est passé… il n’y aura pas de précédent Pinochet… »

Ils se réclament de Debord, mais aussi de Lautréamont. Ils parient non sur la « révolution » mais – plus intéressant ! – sur la « scission ». Certains, disent-ils, écrivent pour « se faire pardonner » ; eux écrivent contre le « nihilisme » et les pensées du « ressentiment ». D’autres n’en finissent pas de ressasser le même pénible roman familial : papa-maman, gros nombrils et petites détresses, culte d’une authenticité conçue comme indépassable horizon de la « jeune » littérature ; eux font à cette idéologie « ombilicale », à ses « odeurs de caleçon » et de « viande humaine », une guerre totale, prolongée. Retenez leurs noms. Ils s’appellent François Meyronnis et Yannick Haenel. Et, dans l’ombre de quelques grands aînés, animent une toute petite revue, presque un tract, qui s’intitule Ligne de risque et qui est probablement, dans le genre, ce qui s’écrit, ces jours-ci, de plus vivant, de plus audacieux, de plus neuf. Vous êtes las des « petites natures », de leurs « petits riens », de leurs humbles misères ? Vous trouvez que la polémique de Perpendiculaire avec Michel Houellebecq tourne à l’académisme ? Eh bien, allez chercher la dernière livraison de ces Cahiers dans l’une des trop rares librairies qui les ont en dépôt. Vous y retrouverez le goût perdu des avant-gardes ; une manière oubliée d’écrire, de lire, de penser, « comme on fait la guerre ». Mathème et poème. La littérature, devoir de pensée. « Une époque, disait Mallarmé, sait, d’office, l’existence du poète. »


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