Insulté quand j’annonce la liste. Insulté quand je la désavoue. Comme si une partie de la classe politico-médiatique n’avait le choix, me concernant, qu’entre deux reproches contradictoires : celui de la personnalisation à outrance ; celui d’une prétendue inconséquence. Pour le coup, les voici comblés. Car ils auront puisé, tour à tour, dans chacun des deux stocks. Et le manège est si bien réglé, la comédie si finement montée que je serais presque tenté d’en rire si l’enjeu – bosniaque – n’était si lourd.
L’insulte la plus basse – mais aussi, quand on y pense, la plus absurde : le « Courage, fuyons ! » d’Alain Juppé. Le « courage », en effet, n’a pas grand-chose à voir avec tout ça. Mais enfin, et à tout prendre, la décision difficile, douloureuse, était – et Monsieur Juppé le sait bien – non pas de poursuivre mais d’arrêter ; non pas d’épouser le mouvement mais de le contrarier. Si facile de se laisser porter par la vague… Si tentant de chevaucher, le temps de deux petites semaines, la flatteuse fortune qui s’offrait là… Et l’effort à fournir, au contraire, pour brider l’indéniable élan que nous avions donné…
Le plus comique – mais là, je ne nommerai personne : ces gens qui n’ont découvert la Bosnie, et leur amour pour elle, qu’avec le dépôt de cette fameuse liste et qui condamnent, urbi et orbi, l’abominable bande des six (Hertzog, Glucksmann, Rondeau, Goupil, Bruckner et moi) qui l’aurait lâchement trahie. Ils savaient à peine, il y a trois semaines, où étaient Tuzla et Gorazde. Ils n’avaient vu de Sarajevo que les images de leur « 20 heures ». Et les voilà mués en ombrageux champions d’une cause dont nous serions, nous, les liquidateurs. On croit rêver. Mais on ne rêve pas. Admirables croquis, au contraire, de l’éternelle comédie humaine.
La vérité sur cette décision ? Il y avait un contrat clair. Oh ! Pas un contrat avec tel ou tel. Mais un contrat entre nous et nous. Nous avions toujours dit : « liste suspensive ». Nous avions répété : « Pas question de faire une liste pour le seul plaisir de faire une liste ». Eh bien nous avons tenu parole. La liste avait un sens tant qu’elle imposait la question bosniaque au cœur du débat européen. Elle perdait toute espèce de signification dès lors qu’elle devenait une machine – de plus – à fabriquer des députés.
Les sondages ? Mais non ! Pas les sondages ! Le résultat, quel qu’il soit, flattait les initiateurs de la liste. Mais ce résultat, quel qu’il soit, condamnait aussi la Bosnie. Image anticipée de ce fameux « camembert » électoral des soirs de résultats. La liste coincée, quel qu’en soit le score, dans le lot des « petites listes ». Quelques points de plus que Laguillier. Quelques points de moins que Bernard Tapie. L’équivalent, à peu de choses près, de la liste « Chasse, pêche, nature et tradition ». Et le sentiment, à l’arrivée, d’une cause minoritaire – alors que chacun sait qu’il y a une immense majorité de Français pour soutenir la cause bosniaque.
Des impressions aussi. Des vibrations diffuses. Ces voix qui nous portaient, ce courant de sympathie, ces gens qui m’interpellaient dans la rue et m’exhortaient : « Tenez bon ! ne lâchez pas ! » – tous des amis de la Bosnie, vraiment ? tous de fervents militants du refus de l’épuration ethnique ? Hum… Ce parfum, que je connais trop. Ces accents, qui ne trompent pas. Cette idée – diffuse, oui – que la classe politique a fait « faillite » et qu’un vote doit la « sanctionner ». Peut- être est-ce vrai, d’ailleurs. Peut-être faut-il, oui, sanctionner les politiques. Mais ce n’était, pour le coup, la vocation d’aucun d’entre nous. Et la Bosnie valait mieux que de servir d’exutoire à cette protestation confuse – où se mêlait, je le sais bien, le pire et le meilleur.
Rennes, hier. Caen, ce matin. Grenoble, Lyon, Montpellier, dans les jours qui viennent. Je me serais passé, c’est sûr, de cette « campagne » d’explications. Mais il le fallait, je crois. Nous le devions à ceux – sincères – qui voulaient vraiment cette liste. Et comme il n’est dans mon habitude ni de me dérober, ni de me taire… Questions des uns. Colère des autres. Débats houleux, parfois. Mais le message, pour l’essentiel, passe. Et les amis de la Bosnie, les vrais, comprennent finalement bien la logique d’une démarche qui dit : « L’urgence n’est pas de bâtir, sur le dos des Bosniaques, on ne sait quel nouveau parti ; elle est de réformer les partis existants, de peser sur leurs dirigeants et, au-delà du 12 juin, de tout faire pour infléchir la politique bosniaque de la France ».
Jeudi matin. Léon Schwartzenberg, aux dernières nouvelles, « continuerait ». Mais continuer quoi, au juste. Avec qui ? Au nom de quoi ? Et quel sens aura, désormais, la poursuite d’une aventure désavouée par ceux qui l’ont voulue, pensée, portée – et qui sont, in fine, venus lui demander de les représenter ? Pauvre Léon ! L’image de lui, cette fameuse nuit. Son incrédulité, d’abord. Sa déception. Sa fureur, ensuite. Ce refus, presque pathétique, de voir se dérober, si près du but, l’objet de son désir. Peut-être s’était-il pris au jeu, dans le fond. Peut-être y croyait-il, à son quarteron de députés investissant, sous sa houlette, l’hémicycle de Strasbourg. Et peut-être, du coup, ira-t-il en effet « au bout ». Juridiquement, il en a le droit. Mais moralement ?
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