Ah ! les familles…. Pour un cas – celui d’un Jacques Lacan où les ayants droit se conduisent avec scrupule et discernement – que d’abus de pouvoir, de ressentiments, de paranoïas, d’aigreurs ! Je me rappelle les polémiques autour d’Artaud et de son séjour à Rodez. Le cas de Baudelaire à l’agonie dont les proches semblaient n’avoir, déjà, d’autre souci que de verrouiller la mémoire. Barthes et ses leçons inédites au Collège de France, bloquées par François Wahl à l’époque où La Règle du jeu voulait les publier. Tant d’autres… Et, maintenant, dernier en date, le procès fait à Daniela Lumbroso pour avoir osé s’emparer, elle, simple journaliste et, qui plus est, journaliste de télévision, de la vie et de l’œuvre de Françoise Dolto. Truffée d’erreurs, cette bio ? L’auteur dément point par point – et elle est convaincante. Incomplète ? Insuffisante ? Pas la somme que l’on attendait et que méritait le personnage ? Peut- être ; mais rien n’interdit à d’autres de s’y mettre ; jamais un essai biographique n’a prétendu épuiser ni geler son sujet. Légère, alors ? Vulgaire ? Il faudrait nous en dire plus, aller au fond des choses, détailler – ce que ni la famille, ni les amis de la famille, ni les amis des amis qui montent, l’un après l’autre, au front, n’ont, à l’heure où j’écris, daigné faire. Au lieu de quoi ces cris d’orfraie, ces invectives, ces procès d’intention aussi expéditifs que méprisants et dont la vraie victime est, pour l’heure, la mémoire de Françoise Dolto elle-même…

Évidemment qu’il faut prendre « en considération » l’initiative de paix dite saoudienne. Et Israël, par parenthèse, ne dit pas autre chose quand, par la voix de Shimon Peres, il répond : « un diktat, non ; le préalable du retour des réfugiés, non plus ; mais une base de discussion, le point de départ d’une négociation sincère et sérieuse, naturellement, oui, nous y sommes ouverts ! » Je lisais, cette semaine, publié par Laffont, le livre d’Annette Lévy-Willard, Trente-trois jours en été, sa chronique de la dernière guerre d’Israël au Liban (en même temps, d’ailleurs, que le livre d’Olivier Rafowicz, chez Favre, Israël-Hezbollah). On y croise des Israéliens harassés par un conflit qui n’en finit pas de finir et de recommencer. Déroutés par un leadership insuffisant et lui-même déboussolé. On y voit les habitants de Haïfa et Kyriat Shmona devenues, sous le feu des missiles iraniens de Hassan Nasrallah, de véritables villes-fantômes. On y rencontre des membres des unités d’élite de Tsahal, retour d’opération, hébétés par ce qu’ils ont découvert de la détermination froide, sans mots ni raisons, de leur nouvel adversaire. On y voit mourir, bêtement, dans une guerre voulue par un Parti de Dieu dont le seul but est, encore une fois, et contrairement aux Palestiniens d’autrefois, de rayer purement et simplement l’« entité sioniste » de la carte, un Uri Grossman, le fils de l’écrivain David Grossman, tué quelques heures avant le cessez-le-feu. Alors, rien que pour lui, rien que pour eux, rien que pour ces jeunes soldats que j’ai vus, moi aussi, à la même époque, revenir de mission avec la certitude que, comme disait Thucydide à propos de l’Athènes de Périclès, personne n’est jamais n’est assez fort pour être sûr d’être toujours le plus fort, je suis partisan de prendre au sérieux toutes les initiatives de paix – à commencer donc, aujourd’hui, par cette percée saoudienne.

L’esprit de chapelle, à Paris, est décidément increvable. Voilà la question du Darfour qui, comme je le disais la semaine dernière, vient enfin au cœur de l’actualité. Voilà des militants de la cause darfourie qui, après tant d’années passées à prêcher dans le désert, ont enfin l’oreille du président et de ceux qui aspirent à lui succéder. Voilà, entre les uns et les autres, à la tribune de la Mutualité, un vrai début de consensus sur cette idée toute simple : faire pression sur le maître de Khartoum, le général Al-Bachir, pour qu’il accepte le principe de cette force d’interposition et de paix qu’il feint de considérer, jusqu’à présent, comme une atteinte « néocoloniale » à la souveraineté de son pays. Or que croit-on qu’il se passe, à ce moment-là ? La grande famille des amis des droits de l’homme va-t-elle se réjouir de cette avancée ? Eh bien non. Pas vraiment. C’est, ici, une tribune qui pinaille sur le nombre des victimes. C’est, là, une discussion théorique, pour ne pas dire théologique, sur l’opportunité ou non de donner à ce carnage le nom de génocide. Ce sont, ailleurs, des considérations d’experts sur la nature du régime de Khartoum et sur le fait que l’on devrait, en bonne géo-politique, un peu plus le ménager. Et je ne parle pas de l’étrange procès fait à ceux qui sont allés sur place, qui témoignent et à qui l’on reproche tout à coup, dans une rhétorique que l’on n’avait plus entendue depuis la guerre de Bosnie, de demander à « des Casques bleus issus du tiers monde » d’aller « mourir à leur place au Darfour ». Allons, camarades ! Un peu de décence ! De retenue ! Ne pourrait-on, un court instant, oublier les petites querelles, les rivalités de clans ou de boutiques, les débats oiseux, les règlements de comptes ? L’urgence est de sauver les corps. Elle est de s’unir pour essayer de stopper le massacre. Il sera toujours temps, après, de revenir à vos disputes.


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