Rebondissement dans l’affaire des savants atomistes pakistanais soupçonnés de vendre leur savoir-faire aux Etats voyous de la région. C’était le point crucial de l’enquête de Daniel Pearl, puis de la mienne. C’est le point qui, dans mon livre, a suscité les réactions les plus vives, notamment au Pakistan. Or voici que des informations en provenance d’Iran puis de Libye, voici que des aveux circonstanciés faits par ces deux pays à l’Agence internationale de l’énergie atomique et au gouverne- ment des États-Unis, confirment, et au-delà, mes conclusions. Voir la presse américaine depuis huit jours. Voir les quotidiens français des 2 et 3 février. Tout y est. Toute l’histoire d’Abdul Qadeer, ce père du programme nucléaire pakistanais, dont on apprend que les laboratoires ont livré plans et pièces de centrifugeuses permettant de produire de l’uranium enrichi. Toute la série de « prestations » qu’il a accomplies, depuis quinze ans et plus, en Corée du Nord. Jusqu’à Musharraff lui-même auprès duquel il occupait, jusqu’à samedi, les fonctions de « conseiller spécial » et qui vient de déclarer, à Davos, qu’il traiterait comme il se doit cet « ennemi de l’Etat ». A la bonne heure. Hommage à Daniel Pearl.

J’ai rencontré Alain Juppé au moment de la guerre de Bosnie. Il était, à ce moment-là, ministre des Affaires étrangères de Balladur, donc de Mitterrand. Et nous avons trop ferraillé pour que j’entre dans le chœur des hypocrites qui lui prêtent soudain toutes les vertus. N’empêche. L’homme est probe.

Il reste – je l’ai écrit, ici, le 2 janvier dernier – l’une des figures les plus honorables de la vie politique de ce pays. Et je continue de penser qu’il y a quelque chose qui ne va pas dans ce pouvoir qu’ont désormais les juges de mettre, de fait, hors jeu un responsable de cette qualité. Le droit, soit. La punition rétroactive des délits liés, avant la loi, au financement occulte des partis, admettons. Mais est-ce le rôle de la justice de dire d’un homme politique qu’il a « trompé la confiance du peuple souverain » ? Est- ce aux magistrats d’apprécier si un élu a trahi ces « valeurs de service public » qui « constituent le cœur de l’enseignement dans les grandes écoles de la République » ? Et qui menace le principe de la séparation des pouvoirs : un premier ministre se déclarant « surpris », ce qui est tout de même son droit, par une décision de justice en effet hors normes – ou des juges que l’on devine saisis par l’ivresse d’écrire à leur façon, dans les prétoires, l’histoire politique, voire institutionnelle, de leur pays ?

Dans le roman de Marc Weitzmann (Une place dans le monde, Stock) une belle description de Tel-Aviv, cette ville étrange, sous-estimée, dont j’ai toujours pensé qu’elle inspirerait tôt ou tard un écrivain. C’est la partie finale du livre. Henri Froment, le narrateur, arrive en Israël où l’a convoqué le mystérieux Max Chapkin. Où est-il ? Que veut-il ? Qui est ce faussaire de génie qui a déjà ruiné la vie de Froment père et qui compte apparemment sur le fils pour écrire le dernier volume de ses Mémoires ? Pour l’heure, le rond point Dizengoff. Le béton fatigué de Ben Yehuda. Des vieux cinémas transformés en boîtes de nuit. Un front de mer étincelant, avec ses bars américains et ses embouteillages monstres. Des ruines de maisons coloniales coincées entre des immeubles modernes. Le plus beau quartier Bauhaus du monde. Des cubes de verre et de béton. Le vent. La mer. Une ville coincée, dit joliment Weitzmann, entre une « fondation inachevée » et une possible « destruction prochaine » – scène toute désignée pour l’ultime coup de théâtre d’un récit endiablé, et qui en comptait déjà quelques-uns. Israël, roman ?

« Faites la paix, pas l’amour » lance Amos Oz dans cet Aidez-nous à divorcer qu’il publie, ces jours-ci, chez Gallimard. C’est très exactement ce que j’appelle, moi, la « paix sèche ». Une paix sans lyrisme ni pathos. Sans émotion ni sentimentalité obligée. Une paix qui ne se croirait pas forcée d’inventer, en plus, on ne sait quelle formule magique soldant des décennies de conflit. Une paix qui – c’est le fond de l’affaire – romprait avec tout le raisonnement qui prévalait depuis trente ans et qui a culminé avec Oslo : étapes, petits pas, double et progressive reconnaissance et, au terme du processus, comme une sorte de couronnement ou de récompense ultimes, le partage de la terre, le compromis entre les rêves. Avec Oz, nous proposons l’inverse. La paix d’abord. Le compromis tout de suite. Un repositionnement de Tsahal sur des frontières sûres, reconnues, claires. Une rupture, autrement dit, avec une situation, la pire de toutes, qui oblige à livrer une guerre sans vraie ligne de front où chaque Israélien, de ce fait, devient une ligne de front à lui tout seul. Et, alors, seulement alors, au fil du temps, l’apprentissage de l’amour.


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